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de notre pauvre cœur éperdu, il trouverait en lui-même, dans les lois les plus inexorables de la nature et de la vie, sa limite et la dure rançon du bonheur insaisissable auquel il aspire. Les seuls vrais amours sont des amours tragiques. L’auteur du Silence a eu, à tout le moins, le mérite de ne point nous le dissimuler. Et je ne sais si, parmi les romanciers d’aujourd’hui, aucun ne nous a, par ses livres, plus subtilement insinué tout à la fois le goût et la terreur de la passion.


III

Qu’il en ait eu parfois, et même souvent, certains scrupules, c’est ce que savent bien tous ceux qui l’ont connu, qui ont correspondu avec lui ; et c’est ce que suffirait à prouver l’un des romans les plus curieux et les plus significatifs qu’il ait écrits, Au milieu du chemin. On en connaît le sujet, inspiré, — la Préface nous l’indique, — de la conférence de Fogazzaro que nous rappelions tout à l’heure, d’une autre de Brunetière sur l’Art et la Morale, et enfin de l’histoire de la conversion de Racine. Un écrivain et dramaturge de grand talent, Clarancé, s’est fait dans ses écrits l’apologiste enthousiaste et le peintre hardi de la passion ; il a d’autre part une liaison irrégulière avec une femme divorcée. Or, un jour il apprend que ses livres ont été lus avec passion par une pauvre fille qui, devenue la maîtresse d’un de ses meilleurs amis, s’est donné la mort pour échapper au déshonneur. Il voit alors clairement, à la lumière d’un fait trop réel, et qui le touche de trop près, que l’art, la littérature peuvent faire du mal, infiniment de mal... Et, de réflexion en réflexion, ne pouvant plus vivre comme il a vécu, hors de la règle sociale, il en vient à proposer, à sa maîtresse, et il finit par lui faire accepter le mariage...

Qu’est-ce à dire ? Et n’est-ce pas là, qu’il l’ait voulu ou non, le désaveu formel des tendances qui se font jour dans presque tous les romans « passionnels » d’Edouard Rod ? « Quelques personnes m’ont demandé, — écrivait-il dans sa Préface, — si ce livre est une profession de foi ; il est simplement, comme mes autres romans, l’étude d’un cas, ou, si l’on préfère, d’un conflit intérieur... » Mais d’avoir choisi ce « cas » plutôt qu’un autre, et de l’avoir traité surtout dans un certain esprit, c’était bien, sinon une « profession de foi, » tout au moins l’indication