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« Madame d’Orléans ne m’ayant pas remis la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, je ne pouvois pas, Monsieur, connoître plutôt vos intentions, que je me hâte de remplir. »


Le départ de Mme de Genlis avait été fixé pour le 24 avril, aussitôt après les fêtes pascales. A mesure que le terme approchait, la lutte se faisait plus cruelle pour la Duchesse. Enfin, à bout de forces, désespérant de voir son mari redevenir « lui-même, » elle quitte la place. C’est près de son père qu’elle ira chercher un refuge, une protection. Toutefois, la lettre par laquelle elle annonce sa résolution à Philippe dément formellement l’acte de brutalité qui lui fut prêté. On racontait, en effet, qu’à la suite d’une scène où il s’était livré aux dernières violences, la Duchesse, demi-vêtue, s’était sauvée du Palais-Royal.

«... Vous avez achevé de me mettre le poignard dans le cœur, j’en mourrai, peut-être, mais je veux, avant de partir pour aller chercher auprès de mon père les seules consolations sur lesquelles je puisse compter à présent, vous conjurer de réfléchir encore au parti auquel vous voulez me forcer. La personne qui, depuis que mes enfans sont entre ses mains, n’a cessé d’être une cause de désunion entre nous, va donc nous séparer pour jamais. C’est elle qui vous a engagé à me tendre un piège, car tout étoit calculé par elle ; mais je suis bien sûre que tout l’étoit à votre insu. Satisfait pendant plusieurs mois de la manière dont j’avois été pour elle, vous n’auriez pas exigé ce que vous avez voulu, si vous n’y aviez pas été poussé. Songez que je suis la mère de vos enfans, que je suis votre femme, que depuis vingt ans, je n’ai été occupée que de mes devoirs et de tout sacrifier pour vous rendre heureux. Songez que je ne pouvois supporter l’humiliation à laquelle vous vouliez me condamner, et encore moins celle que vous me prépariez, puisque votre projet étoit de m’ôter plus que jamais mes enfans... Réfléchissez encore, je vous en supplie, je vous le demande au nom de nos enfans, au nom de la tendresse que vous eûtes pour moi, ne consommez pas cet horrible sacrifice. Mme de Sillery n’est-elle pas un monstre si elle y consent ? Enfin je ne veux pas avoir à me reprocher de ne pas avoir fait une dernière tentative. Mon cœur et mon devoir m’en font la loi également ; redevenez vous-même, soyez juste...