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dernière a été d’une éloquence supérieure à tout ce que j’ai jamais entendu. » L’orateur de Notre-Dame était doué magnifiquement, sans doute ; mais on sait de reste ce qu’un orateur doit à l’auditoire par lequel il se sent soulevé : l’enthousiasme des Ozanam fait en partie l’éloquence des Lacordaire.

Ces années de Paris furent pour Ozanam les plus heureuses de toute sa vie, celles dont il évoquait le plus volontiers le souvenir. De retour à Lyon, il en traçait ce brillant tableau : « Toutes ces humbles scènes de notre vie d’étudians, quand elles me reviennent au demi-jour du passé, ont pour moi un charme inexprimable : les réunions du soir, aux conférences de M. Gerbet, qui avaient un peu le prestige du mystère... les luttes historiques, philosophiques, où nous portions une ardeur de si bon aloi... et cette visite improvisée (à Mgr de Quélen) où nous nous rendîmes en tremblant, où nous soutînmes un si rude assaut, d’où nous sortîmes si émus ; et les premiers débuts de Lacordaire à Stanislas, et ses triomphes de Notre-Dame, que nous faisions un peu les nôtres, et la rédaction de la Revue Européenne dans le salon de M. Bailly, et les vicissitudes de la Société de Saint-Vincent de Paul. Avec cela, les réveillons de Noël, les processions de la Fête-Dieu, les églantines qui fleurissaient si jolies sur le chemin de Nanterre, les reliques de saint Vincent de Paul portées sur nos épaules à Clichy, et puis tant de bons offices échangés, tant de fois le trop-plein du cœur épanché en des conversations que la complaisance de l’un permettait à l’autre de rendre longues... enfin jusqu’aux promenades autour des lilas du Luxembourg ou sur la place de Saint-Étienne-du-Mont, quand le clair de la lune en dessinait si bien les trois grands édifices ! » Je n’ai pas craint d’insister sur ce chapitre de la biographie d’Ozanam. Outre qu’il contient déjà plus que le germe et l’ébauche de ce qui allait suivre, c’est un aspect de la vie d’étudiant qu’ont généralement négligé les romanciers, chroniqueurs et autres peintres des mœurs parisiennes.

Ozanam était avocat ; il plaida ; il plaida même avec succès, Mais il n’avait pas de vocation pour le métier. Il était d’avis qu’il n’est pas de si bonne cause où il n’y ait des torts réciproques, pas de plaidoyer si loyal où il ne faille dissimuler quelques points faibles. Etrange avocat qui eût voulu reconnaître d’abord les torts de son client ! Il fit bien de renoncer. Il fut