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comme du lait tourné : c’est le café de la ville. Les Cafres transpirans y trempent une sorte de cuiller, — fruit creux enfilé d’un long manche, — pareille à une pipe. Ils en lèchent les rebords sirupeux, puis la remettent à la marchande aux yeux jaunis comme ceux des chiens.

La végétation resplendit dans sa somnolence. Plantes et gens dorment et luisent. En plein soleil, en ce. fond de verdure pétrifié sous le ciel pareil à un immense nuage blanc immobile et éternel, la vie n’a d’autre animation que les cris d’oiseaux, piquans, mais monotones comme des cris d’insecte contre l’écorce des arbres ; tout bruit semble caché ; seuls vibrent, comme d’énormes papillons écarlates, les pagnes rouges des femmes qui flambent, puis disparaissent sous les citronniers géans.


Autre ville ; autre époque. Beira, cité anglaise et quasi australienne de tôle, parait un Port-Saïd du Sud : ville à ras de sable avec une bordure de filaos s’effrangeant au-dessus de l’alignement de ses docks, hôtels, banques, factoreries, notariats-tabellionnats, tout cela coloré comme les maisons portugaises, mais en tôle ondulée peinte de rouge, vert d’eau, azur, albâtre, serin, carminé. Voici le type de la tête de ligne de chemin de fer, — ici railway de la Rhodésie, — faite par et pour lui, agglomération de grande gare avec ses constructions de métal posées comme sur rails. On ne marche d’ailleurs pas dans les rues où les pieds enfonceraient : la circulation se pratique sur trolleys poussés par deux nègres. Les bungalows sont enveloppés de haut en bas de treillis métalliques sous lesquels jouent des babys roses. On est amusé par l’étrangeté de voir s’élever à même le sable les magasins de raffinemens modernes : étalages de parfumerie, bijouterie, modes déployées. Dans les rues transversales, les bars groupent des filles à longs yeux opiacés autour de gramophones, sous des plafonds enguirlandés de papillotes jaunes et vertes. Innombrables dans cette station de sable et de métal brûlant sont les hôtels bas, avec écrans sur rues, où partout appellent les phonographes.

Comme l’apparence le dénonce, il ne s’accuse ici de nationalité portugaise que chez les fonctionnaires et les filles. La cité est une succursale anglaise avec ses agences de sociétés de Fort-Salisbury et du Cap, de banques de Londres et de Calcutta, de stores afrikanders, où des hommes imberbes et rouges travaillent