Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/743

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour jamais Augustin de ses bruyans camarades d’autrefois : il ne fréquentait plus les « Démolisseurs. » Le petit cercle où il se plaisait était calme et enjoué. La gaité s’y tempérait de gravité africaine. Je le vois, lui et ses amis, un peu comme ces étudians en théologie, ou ces jeunes lettrés arabes, qui, paresseusement couchés sur les coussins d’un divan, s’entretiennent de poésie, en roulant entre leurs doigts les grains d’ambre de leurs chapelets, ou qui, drapés dans leurs simarres de soie blanche, se promènent sous les arcades d’une mosquée, l’air sérieux et recueilli, le geste élégant et mesuré, la parole harmonieuse et courtoise, avec quelque chose de discret, de poli et de clérical, déjà, dans le ton et les manières.

En somme, c’était la vie païenne, dans ce qu’elle avait de meilleur et de plus doux, que goûtait alors Augustin. Le réseau subtil des habitudes et des occupations journalières l’enveloppait petit à petit. Il risquait de s’engourdir dans cette molle existence, lorsque, tout à coup, un grand sursaut le souleva... Ce fut un hasard, mais, à ses yeux, un hasard providentiel, qui lui mit entre les mains l’Hortensius de Cicéron. Augustin allait avoir dix-neuf ans, il était toujours étudiant : selon l’ordre adopté dans les écoles, le moment était venu pour lui de lire et d’expliquer ce dialogue philosophique. Nulle curiosité ne l’y poussa. S’il prit ce livre, ce fut par conscience de bon écolier, parce qu’il figurait au programme. Il l’ouvrit, s’y engagea sans doute avec une tranquille indifférence. Soudain, une grande lumière inattendue resplendit entre les lignes. Son cœur battit. Toute son âme s’élança vers ces phrases chargées d’un sens éblouissant et révélateur. Il se réveillait de son long assoupissement. Une vision merveilleuse l’illuminait. Aujourd’hui que ce dialogue est perdu, nous ne pouvons plus guère comprendre les raisons d’un tel enthousiasme, et nous tenons l’orateur romain pour un médiocre philosophe. Nous savons pourtant par Augustin lui-même que ce livre contenait un éloge éloquent de la sagesse. Et puis, les mots ne sont rien sans l’âme du lecteur : tout ce qui tombait dans celle d’Augustin y rendait un son prolongé et magnifique. Il faut croire aussi que, juste à ce moment où il ouvrit le livre, il était mûr pour en recevoir cette exaltante impression. Dans ces minutes-là, où le cœur, ignorant de lui-même, se gonfle comme la mer avant l’orage, où l’être déborde de toutes ses richesses intérieures, il suffit de la moindre lueur