Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui causait volontiers avec lui, qui lui témoignait une bonté toute paternelle. Augustin avait de belles relations. Il en eut toute sa vie. Son urbanité et l’élégance de ses manières lui ouvraient les portes les plus difficiles. Mais, justement parce qu’il était estimé en haut lieu, il sentait d’autant plus péniblement qu’il n’avait pas, devant le grand public, la place qu’il méritait. Son humeur, peu à peu, s’aigrissait. Dans ces dispositions chagrines, il n’envisageait plus les choses avec la même confiance, ni la même sérénité. Ses inquiétudes d’esprit le reprenaient.

Ses idées, d’abord, s’en ressentirent. Il conçut des doutes de plus en plus précis touchant le manichéisme. Il commença par suspecter l’austérité, un peu théâtrale, dont se prévalaient si fort les initiés de la secte. Entre autres turpitudes, il vit un jour, sur une des places les plus fréquentées de Carthage, « trois Elus hennir au passage de je ne sais quelles femmes et se livrer à des gestes tellement obscènes, qu’ils surpassaient l’impudence et l’impudicité des gens les plus grossiers. » Il en fut scandalisé. Mais c’est encore peu de chose. Lui-même alors n’était pas si vertueux. D’habitude, un intellectuel fait bon marché de la pratique et ne s’embarrasse guère de conformer sa conduite à ses principes. Le pire, pour lui, c’est que la physique manichéenne, ramassis de fables plus ou moins symboliques, lui parut tout à coup ruineuse. Il venait de lire des livres d’astronomie, et il constatait que la cosmologie des manichéens, — de ces hommes qui se proclamaient rationalistes, — se trouvait en contradiction avec la science. Le manichéisme était atteint dans son principe, du moment qu’il contredisait la raison confirmée par l’expérience.

Augustin fit part de ses doutes non seulement à ses amis, mais aux prêtres de la secte. Ceux-ci s’en tirèrent par des échappatoires et par les plus éblouissantes promesses : un évêque manichéen, un certain Faustus, allait passer à Carthage. C’était un homme d’une science consommée. Sûrement il réfuterait sans peine toutes les objections possibles. Il confirmerait dans leur foi les jeunes « auditeurs... » Augustin et ses amis attendirent donc ce Faustus comme un véritable messie. Leur déception fut immense. Le prétendu docteur était un ignorant, qui n’avait nulle notion des sciences ni de la philosophie, et dont tout le bagage intellectuel se réduisait à un peu de grammaire. ;