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mouillé dans une petite anse, au Nord de la ville, ne bougeait pas. Les marins attendaient, pour mettre à la voile, que la brise se levât. Il faisait un temps humide et lourd comme d’habitude en Méditerranée, aux mois d’août et de septembre. Pas un souffle n’agitait l’air. Les heures passaient. Monique, accablée par la chaleur et la fatigue, défaillait. Alors Augustin, perfidement, lui conseilla d’aller passer la nuit dans une chapelle du voisinage, puisque le bateau, c’était certain, ne lèverait pas l’ancre avant l’aube. Elle se décida non sans peine à se reposer dans cette chapelle, une memoria consacrée à saint Cyprien, le grand martyr et le grand patron de Carthage.

Comme la plupart des sanctuaires africains de ce temps-là et des « marabouts » d’aujourd’hui, elle devait être entourée ou précédée d’une cour, avec un portique en arcades, où l’on pouvait se coucher. Monique s’assit par terre sous l’amas de ses voiles, au milieu des pauvres gens et des voyageurs qui, par cette soirée étouffante, étaient venus, comme elle, chercher un peu de fraicheur auprès des reliques du bienheureux Cyprien. Elle pria pour son enfant, offrant à Dieu « le sang de son cœur, » le suppliant de le lui conserver : car « beaucoup plus que d’autres mères, dit Augustin, elle aimait à me voir auprès d’elle. » Et, en véritable fille d’Eve, « elle redemandait avec douleur ce fils qu’elle avait enfanté dans la douleur. » Elle pria longtemps, puis, à bout d’émotions, elle s’endormit. Sans le savoir, le portier de la chapelle veilla, durant cette nuit, non pas seulement la mère du rhéteur Augustin, mais l’aïeule d’une innombrable lignée d’âmes : cette humble femme qui sommeillait là, par terre, sur les dalles d’une cour, portait dans son cœur toute la tendresse des mères futures.

Tandis qu’elle dormait, Augustin, furtivement, était monté sur le navire. Le silence et la magnificence nocturnes l’oppressaient. Parfois, le cri des hommes d’équipage prenait un accent étrange dans cette immensité miroitante. Le golfe de Carthage resplendissait au loin, sous l’embrasement des constellations, sous le ruissellement d’une voie lactée toute blanche comme les fleurs d’un immense jardin céleste. Mais Augustin avait le cœur lourd, plus lourd que l’air appesanti par la canicule et l’humidité marine, — lourd du mensonge et de la cruauté qu’il venait de commettre : il voyait déjà le réveil et la détresse de sa mère. Sa conscience était trouble, bouleversée de remords et