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quitter pour un tems le lieu qu’il habite, je serois morte si je n’avois pas eu recours à la tendresse de mon père.


« Ta petite lettre n’a pas le sens commun, mon cher petit Beaujolois, mais tu es excusable en quelque sorte parce que tu ne juges pas d’après ta propre expérience. Il m’a été sensible cependant de voir que tu ne me croyois pas, sois sûr que l’amour d’une mère pour ses enfans devance bien le moment où ils ont l’âge de raison, et la tienne t’a chéri avec la plus vive tendresse dès l’instant où tu as vu le jour ; ainsi, elle pouroit avec raison te dire qu’elle avoit aimé la première. Si tu avois eu la prétention de m’aimer plus que je t’aime, elle n’auroit pas été fondée, mais mon cœur en eut été attendri, soit sûr qu’il est bien à toi... »


Ce 9 avril matin.

« Tu es un petit coquin, mon Beaujolois, tu fais tout ce que tu peux pour me tourner la tête et tu y réussis complettement. Tes lettres sont charmantes, et j’ai toujours le besoin d’y répondre sur le champ.

« La personne que tu aimes de tout ton cœur (qui t’aime bien de même) et qui demeure à Anet chès son père , attend avec impatience la boëte que tu lui destines, et son plaisir sera bien augmenté s’il y a dessus un petit portrait, enfin elle désire dans cette occasion à être traitée comme ta vache , tu as bien fait de lui parler de moi, mon cher enfant, et en tout je te donne carte blanche, car tu ne te tromperas pas sur les personnes qui méritent des témoignages d’intérêt de ma part, et tu scai que le premier des droits qu’elles peuvent y avoir acquis est d’aimer mon Beaujolois... Quel beau tems, mon cher enfant, que je voudrois te tenir à Anet ! Tu me manques toujours, à tous les instans, dans toutes les occasions ; mes peines, tu les adoucierois, mes satisfactions (si j’en avois) seraient doublées par ta présence  ; mais il faut attendre ce bonheur du tems.

« Adieu, cher enfant, je t’embrasse plus tendrement que je ne puis l’exprimer et je dirai comme toi si j’en avoîs la prétention : j’y perdrais bien mon tems, assurément . »


Ce 16.

« J’imagine, cher enfant, que tu recevras deux lettres à la fois, Montpensier et Chartres te l’auront dit, et ils se seront acquittés de toutes mes comissions pour mon Beaujolois, je leur