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Ce serait la devise de ceux qui non eunt, sed feruntur. Voilà un propos qu’il fallait, ou expliquer, ou faire expliquer par son auteur, ou laisser sur le vert.

Un des jeunes gens enquêtes nous confie qu’il a quitté Gœthe pour Racine et Mallarmé, Tolstoï pour Balzac et Stendhal, et le rapport, — qui seul serait intéressant, — entre Racine et Mallarmé échappe un peu ; et le rapport entre l’épicurien Stendhal et l’autoritaire Balzac n’apparaît pas de manière à montrer la logique intérieure de celui qui nous fait cette confidence ; et dès lors, que nous importe ?

Un autre dit : « Le sens du divin est une forme supérieure du sens du réel. » Je ne dis pas non. Je ne crois pas ; mais je ne dis pas non ; mais encore faudrait-il expliquer cela et, en cherchant consciencieusement, je n’en vois nulle part, dans le contexte, aucune explication.

Agathon a maintenu dans son livre cette pensée d’un tout jeune homme qu’il avait inscrite dans un journal et qui avait provoqué une douce hilarité : « Ah ! Rousseau, tu n’as jamais parlé de cela, la Patrie ! » — Pourquoi, quand on fait une enquête, paraître s’attacher à mettre en lumière l’ignorance divertissante des enquêtes ?

Un autre jeune homme nous dit, en parlant du même Rousseau : « Son système d’éducation me répugne... » Eh bien : il est dégoûté. « Sa morale me blesse... » On peut ne pas contre-signer la morale de Rousseau, mais en être blessé, c’est trouver blessante la morale de l’Evangile, ce qui est un peu paradoxal. u Sa façon d’aimer me convient, mais je l’ai reçue d’autres que lui. » Et l’on s’étonne que la seule chose de Rousseau qui soit décidément détestable et lamentable soit précisément la seule... Tout cela est bien peu mûr.

Un autre jeune homme, très partisan des sports, s’échauffe particulièrement sur la boxe et en fait ainsi l’apologie : « Elle nous enseigna le courage et le sang-froid ; elle nous apprit à souffrir, à encaisser, à réserver nos forces, à deviner dans les yeux de l’autre la défaillance fatale ; elle nous redonna enfin le goût du sang (c’est lui qui souligne). »

Le livre est tout plein ou de ces assertions baroques sans démonstration ou de ces outrances. Cela compromet un peu la thèse que l’on veut soutenir, à savoir que la jeunesse de 1913 est miraculeuse