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chercher la tradition par delà la tradition et que, par delà le bourbier de 1870-1900, ils vont trouver le terrain ferme de 1860, ou de 1825 ou de 1792 ou de 1640, je passe.

Mais, vraiment, leur dégoût à l’égard des générations de 1870-1890 et de 1890-1910, car ils les englobent, me paraît justifié, certes, car toutes les générations peuvent être méprisées, mais justifié insuffisamment.

Parce que quelques « penseurs » vers 1880 ont signalé la fameuse antinomie de la pensée et de faction, faut-il tant les lapider ? Cette antinomie existe chez un certain nombre d’hommes, et il est juste dans cette mesure d’affirmer qu’elle existe ; elle est surtout, non essentielle, mais imposée par nos institutions politiques qui interdisent le plus souvent aux penseurs l’accès à l’action et les forcent à penser tout le temps ; mais encore elle se résout assez facilement par ceci, et que l’intellectuel lui-même arrive assez souvent à forcer les portes du domaine de l’action, et que les hommes d’action, le plus souvent, mettent dans l’action les idées précisément qu’ils ont empruntées aux penseurs, d’où suit que le penseur aurait mauvaise grâce à se plaindre. Et pour avoir signalé cette sorte de division du travail, non, je ne pense pas que les trois ou quatre philosophes de 1880 dont je parlais soient de très grands misérables.

Reproche plus grave : nous avons été des antipatriotes. De quoi ces jeunes gens donnent trois ou quatre exemples. Parce que M. Rémy de Gourmont a écrit en 1891, dans une revue alors obscure, et qui tirait des coups de pistolet pour cesser de l’être : « Je ne donnerais pas en échange de ces terres oubliées (l’Alsace-Lorraine) ni le petit doigt de ma main droite... ni le petit doigt de ma main gauche... Il me paraît qu’elle a assez duré la plaisanterie des deux petites sœurs esclaves, agenouillées dans leurs crêpes au pied d’un poteau frontière, pleurant comme des génisses au lieu d’aller traire leurs vaches... Nous ne sommes pas patriotes ; » — parce que Jules Renard a écrit : « J’espère que bientôt la guerre de 1870-1871 sera considérée comme un événement de moindre importance que l’apparition du Cid ou d’une fable de La Fontaine ; » — parce qu’un professeur de philosophie resté sans gloire, et dont je ne crois pas que le retentissement ait été immense, M. Rauh, demandait à ses élèves « si le patriotisme est une idée raisonnable et s’il résiste à l’épreuve des faits ; » — à cause de cela ces jeunes gens accusent