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la campagne de France, de huit mois, comme en 1870 ; qu’il faudra compter par semaines, sous peine de voir l’intervention russe se produire avant le dénouement, et la France encore debout, non pas couchée à terre et foulée sous la botte du vainqueur, se dresser dans un de ces sursauts patriotiques dont elle est coutumière, qui étonnent, qui déconcertent et dont, en somme, on a peur, car si l’on méprise le pays welche comme terre de plaisir, on le craint comme terre de liberté.

Telles sont les éventualités dont les Allemands sentent la menace ; elles rendent impérieuse pour eux la nécessité d’agir offensivement contre nous dans la marge de temps dont le retard russe leur permet de disposer. Nous ne saurions donc voir dans les suggestions officieuses allemandes autre chose qu’une manœuvre diplomatique en lignes intérieures inspirée du plan même de l’état-major allemand. Mais d’un autre côté, la France, avec 40 000 000 d’habitans, est dans l’impossibilité physique d’entretenir une armée égale à celle qu’alimente une masse allemande de 60 000 000 d’hommes. Dès aujourd’hui, son fardeau militaire est le plus lourd de toutes les nations d’Europe, en même temps qu’elle est celle où les institutions, les aspirations et les mœurs assurent à l’individu le plus de liberté. Elle doit donc mesurer au plus juste sa nouvelle surcharge, sous peine de s’exposer demain au découragement et au dégoût.

Ici interviennent le jeu normal de l’alliance franco-russe et la répartition probable de leurs forces que les Allemands seraient obligés de faire entre les deux théâtres de l’Est et de l’Ouest. On ne sait au juste comment ils résoudraient ce double problème, ni quels effectifs ils affecteraient à leur défensive initiale en Prusse. On voit seulement que le tracé enveloppant de la frontière, que l’appui prêté par les places de Posen et de Thorn sont pour eux autant d’avantages. Le désir d’en profiter au mieux apparaît chez eux par le développement donné depuis peu aux ouvrages fortifiés de Mazovie et par les nouveaux crédits attribués au renforcement de Graudenz et de Kœnigsberg. D’un autre côté, les créations récentes d’une inspection d’armée à Dantzig (1913), d’un XXe corps à Allenstein (1912), paraissent traduire l’intention de renforcer sur place les forces de la défense et celles du commandement.

En tout état de cause, il est plausible d’admettre que les cinq corps d’armée immédiatement voisins de la frontière polonaise