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déconcertante. Néanmoins, tel qu’il était ou tel du moins qu’il se montre à nous dans les récits des nombreux historiens qui se sont occupés de lui, il est attirant et même sympathique ; s’il lui est souvent arrivé de se tromper et de subir des influences pernicieuses, on ne saurait mettre en doute la pureté de ses intentions.

Toutefois, les qualités qu’on ne peut lui contester et qui tranchent heureusement sur ses défauts, n’auraient pas suffi à lui assurer dans l’histoire du dernier siècle la place qu’il y occupe si le hasard de sa naissance n’avait fait de lui le contemporain de l’empereur Napoléon. C’est à Napoléon surtout qu’il doit sa renommée ; sans Napoléon, son règne n’aurait pas eu l’éclat qui s’y est attaché. Cette circonstance n’est pas pour le diminuer, puisque après tout, malgré la différence des mérites, il a eu finalement la gloire de vaincre l’invincible et de se poser devant la postérité comme le rival heureux du prestigieux personnage aux pieds duquel, jusque-là, étaient venues se briser toutes les rivalités. Ce n’est pas son unique titre à la renommée inséparable de son nom. Victorieux, il fut modéré dans la victoire : la France, pour sa part, lui doit d’avoir été défendue, au jour des défaites et des revers, contre les convoitises de la Prusse et de l’Autriche.

En réalité, pour le bien juger, il faut, comme l’a fait le grand-duc Nicolas, l’étudier dans ses rapports avec Napoléon, soit à l’époque où il était son allié, soit à l’époque où il devint son ennemi, à supposer qu’il eût jamais cessé de l’être, même lorsqu’il protestait de son attachement pour lui. De tout ce que nous savons des relations qui s’étaient créées entre les deux potentats, il est impossible de ne pas conclure que, presque au début de leur alliance, ils ont essayé de se tromper réciproquement, qu’ils n’ont jamais été absolument sincères vis-à-vis l’un de l’autre et qu’ils ont fait assaut de duplicité. On a dit avec raison que, dans leurs rapports, l’un avait déployé toutes ses ruses de Corse, l’autre toutes ses ruses de Slave, et c’est parce que le Slave a eu raison du Corse qu’il a conquis la célébrité ; elle lui eût fait défaut si Napoléon ne s’était pas trouvé sur son chemin.

En l’étudiant à ce point de vue, on trouve en lui deux hommes, l’un qui intéresse plus spécialement les Russes, l’autre qui intéresse plus spécialement les Français. De celui-ci les