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représentait alors le roi de Sardaigne à la Cour moscovite, Michaud était un homme du plus haut mérite, soldat de valeur et catholique fervent. En communiquant au Tsar la prise de Moscou par l’ennemi, il lui avait dit :

— Sire, l’armée n’a qu’une crainte.

— Laquelle ? avait demandé l’Empereur.

— Elle redoute qu’un sentiment d’humanité ne porte Votre Majesté à conclure la paix, et c’est la guerre que l’on désire.

— Je ne signerai jamais la honte de ma patrie et de mes bons sujets, s’était alors écrié Alexandre. Je reculerai plutôt jusqu’au fond de la Sibérie en mangeant des pommes de terre comme le dernier des paysans. Rappelez-vous ce que je vous dis aujourd’hui, colonel Michaud : Napoléon ou moi ; moi ou lui ; nous ne pouvons plus régner ensemble. J’ai appris à le connaître ; il ne me trompera plus.

Congédié sur ces paroles mémorables, Michaud était chargé de les répéter à Koutousoff et, en même temps, l’Empereur exprimait l’espoir que Michaud, qu’il tenait en haute estime, serait l’heureux messager qui lui apporterait la nouvelle des premiers succès remportés sur les envahisseurs.

Tel est le point de départ de la métamorphose morale dont nous venons de parler et qui allait faire d’Alexandre un homme nouveau. On la voit s’opérer et on peut en suivre les développemens dans sa correspondance avec le prince Golytzine, procureur général du Saint-Synode, ministre des Cultes et dans celle qu’il entretenait avec Kochéleff, grand maître de la Cour.

Le 23 juin, à l’heure la plus tragique de la terrible guerre, il écrit à Golytzine :

« Dans des momens comme ceux dans lesquels nous nous trouvons, le plus endurci éprouve, je crois, un retour vers son Créateur... Dites-vous que pour m’acquitter de ce devoir sacré et en même temps si cher à mon cœur, le temps ne me manque jamais : je me livre à ce sentiment avec une chaleur, un abandon bien plus grand encore que dans le passé. J’y trouve ma seule consolation, mon seul appui. » Il exprime les mêmes sentimens le 9 janvier 1813. « Plus que jamais, je me remets à la volonté de mon Dieu et me soumets aveuglément à ses décrets. »

Quelques jours plus tard, après avoir lu le récit de l’inauguration de la Société de la Bible dont il a encouragé la fondation, il appelle sur elle la bénédiction de l’Etre Suprême : « En