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régnante, compagne de son voyage dans les provinces du midi de l’Empire, un secret qu’elle devait communiquer à l’Impératrice mère et au Sénat de Pétersbourg. L’Impératrice, désolée de la mort de l’Empereur, tomba malade dans son retour et elle ne cessait de dire :

« — Je n’arriverai pas à temps pour remplir la mission que m’a donnée Alexandre. »

Quelque respect que mérite la parole de la duchesse de Laval-Montmorency, elle ne suffit pas à nous faire accepter comme définitive la version qu’elle nous présente. On y peut notamment objecter que nulle part, dans les lettres qu’écrivit à sa mère durant les quelques semaines qui lui restaient à vivre, l’auguste veuve d’Alexandre, il n’est fait aucune allusion aux dispositions prêtées à tort ou à raison à l’Empereur en faveur du catholicisme. Qu’elle les ait cachées pour se conformer à la volonté de son mari, cela est possible ; mais, répétons encore une fois que l’histoire ne peut se contenter de si peu, et bornons-nous à admettre que, durant les dernières années de sa vie, l’empereur Alexandre a été profondément tourmenté par le souci de la vérité religieuse. C’est l’opinion de la plupart de ceux qui l’ont alors approché, et nous la trouvons nettement indiquée par Chateaubriand dans une page du Congrès de Vérone. En relations quotidiennes avec l’Empereur et à l’issue d’une de ces audiences où celui-ci s’épanchait familièrement, il écrivait :

« Nous touchâmes la réunion de l’Église grecque et latine : Alexandre y inclinait ; mais il ne se croyait pas assez fort pour la tenter ; il désirait faire le voyage de Rome, et il restait à la frontière de l’Italie ; plus timide que César, il ne franchit pas le torrent sacré, à cause des interprétations qu’on n’eût pas manqué de donner à son voyage. Ces combats intérieurs ne se passaient pas sans syndérèse : dans les idées religieuses dont était dominé l’autocrate, il ne savait s’il n’obéissait point à la volonté cachée de Dieu, ou s’il ne cédait point à quelque suggestion intérieure qui faisait de lui un renégat et un sacrilège. »

Il faut finir sur ce trait, puisque aussi bien nous ne saurons jamais rien de plus que ce qu’a raconté Michaud et confirmé le pape Grégoire XVI, les documens qui auraient pu répandre plus de lumière à travers ces obscurités ayant été détruits par l’empereur Nicolas Ier. Si dans ceux qui nous restent le grand-duc Nicolas ne découvre pas la moindre trace de sympathie