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que tinte le glas. C’est Joris qui le sonne, non plus de ses mains, mais de tout son corps, de son corps de pendu devenu le battant de la cloche funèbre. Et Godelieve hurlante, râlante, plutôt que chantante, ayant décrit l’effroyable vision, finit par tomber et s’étendre sur sa croix qui gît à terre. Cependant les bonnes sœurs achèvent paisiblement leurs oraisons. Excepté par ce détail, cette scène, de même que la scène de l’église, n’appartient pas au genre tempéré.

Dans l’une et dans l’autre M. Xavier Leroux s’en est donné, comme on dit, à cœur joie. Il n’est pas d’excès où ne se soit portée, emportée sa musique, pas de faute que n’ait commise contre la dignité, ou seulement la tenue et le goût esthétique, son art convulsionnaire. Ne fût-ce que dans l’ordre sonore, il faut avouer que les dernières scènes du Carillonneur ont je ne sais quoi de brutal et de presque grossier. Vous diriez des figures du musée Grévin ou Tussaud, animées, égarées jusqu’au délire par une musique digne de leurs formes et de leurs couleurs. On a retranché la scène de l’église ; fort bien. Mais dans la partition elle subsiste, on peut la lire, et d’aucuns, dont nous sommes, l’ont vue.


Aimez ce que jamais on ne verra deux fois,


a dit Vigny. Mais il y a des choses qu’il suffit d’avoir vues, entendues une seule fois, pour se sentir tout près de les haïr. L’expression vous semblera forte. Mais si vous saviez à combien de sentimens, littéraires, poétiques, musicaux, — sans parler de certains autres, encore plus respectables peut-être, — cette scène faisait violence. Violence encore une fois grossière, et, avec cela, si parfaitement inutile ! Songez seulement aux crises, aux transports de la passion, même la plus véhémente, tels que les ont représentés les plus grands, les plus nobles maîtres du pathétique. Alors, vous souvenant d’Orphée, ou de dona Anna, l’épileptique Godelieve ne manquera pas de vous inspirer une sorte d’horreur. Lire cette scène de l’église n’est rien. Il faut y avoir assisté. Drame, ou plutôt mélodrame, et musique, tout y était au paroxysme. Pour les béguines assemblées et déjà non moins insensibles que dans la dernière scène à de si proches et si bruyans scandales, un invisible aumônier vociférait les litanies. Des lèvres de Godelieve hors d’elle-même et se roulant sur les dalles, c’était, en guise de prières, des imprécations qui semblaient sortir. Et lorsque survint Joris, alors en quel duo forcené se changea le furieux monologue ! Ils marchaient, les deux amans, ils marchaient vers l’autel, enlacés, enivrés, en chantant. Et chaque strophe de leur cantique, répondant à chaque verset des litanies, y faisait