Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/952

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses intentions pacifiques. Nous avons toujours reconnu la force de cet argument ; mais, s’il est bon pour l'Allemagne, il ne l’est pas moins, peut-être même l’est-il plus pour la France, car l’Allemagne n’avait rien à réparer. Au reste, M. de Bethmann-Hollveg n’a pas mis en doute nos intentions pacifiques ; il y croit de la part de notre gouvernement d’aujourd’hui ; mais il se préoccupe de l’avenir. Si les gouvernemens sont pacifiques, l’opinion ne l’est pas toujours au même degré. « Les élémens qui y dominent, dit M. de Bethmann, sont toujours ceux qui parlent le plus fort et, dans les périodes de passion, plus les institutions sont démocratiques, plus les minorités ont d’importance. » Ce dernier trait est à notre adresse, évidemment : devons-nous nous on sentir atteints ? M. de Bethmann-Hollveg confond ici le présent avec le passé. Il y a eu sans doute autrefois des gouvernemens qui ont pu se croire indépendans de l’opinion et qui l’ont été : s’il y en a encore maintenant, nous avouons ne pas les connaître. L’Allemagne n’est pas un pays à institutions démocratiques et l’influence de l’opinion s’y fait sentir de plus en plus. Il faut compter, on compte avec les pangermanistes et, à côté des motifs sérieux que le chancelier de l’Empire a donnés dans son discours à l’appui des armemens nouveaux, les exigences d’une opinion ardente, ambitieuse, impérialiste à outrance, ont été de quelque poids dans les résolutions prises. La Russie est le pays autocratique par excellence : nous venons de voir ces derniers jours encore à quel point l’opinion y est puissante ; elle tient presque en échec la politique de solidarité que suit le gouvernement. Si la guerre éclate dans un temps prochain, ce qu’à Dieu ne plaise ! le premier feu ne s’allumera pas dans les pays où l’opinion, depuis longtemps maîtresse, a eu le temps de se modérer et de se régler. Le danger est en Russie, il est en Autriche, et l’Autriche est pas, elle non plus, un pays dont les institutions sont à base démocratique. Nous vivons à une époque où la forme des gouvernemens, au moins en ce qui concerne leur politique extérieure, a perdu de son importance. En tout cas, nous avons la prétention d’être, dans toute la force du mot, aussi sage que personne et de l’avoir prouvé.

Qu’est-ce donc que ce réveil du « chauvinisme » que le chancelier de l’Empire allemand a relevé chez nous ? Il est vrai qu’un changement s’est fait dans l’opinion française, et nous ne pouvons pas trouver mauvais que M. de Bethmann-Hollveg le dise, puisque nous le disons nous-mêmes; mais ce changement ne fait nullement de nous un peuple plus enclin à courir des aventures militaires, il nous rend seulement plus résolus et mieux préparés à en accepter l’épreuve