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ESQUISSES MAROCAINES.

ou à son descendant, on apportait les offrandes, les ziara qu’il était accoutumé de recevoir lui-même. Tous les lieux où on l’avait vu vivre participaient de sa sainteté, les objets qu’il avait touchés, les êtres de sa vie, on les nommait comme on l’avait nommé lui-même : marabout. Marabout l’olivier sous lequel on l’avait vu le matin et le soir faire sa prière ; marabout le grand caroubier sous lequel il avait reposé : Marabout la grotte où il se couchait en été pour s’abriter de l’ardeur du soleil ; Marabout le figuier dont les fruits le nourrissaient., Son esprit était épars dans les choses et la campagne se sanctifiait. Comme on allait de son vivant à sa tente, on allait après sa mort à la Koubba, avec une espérance plus ferme, plus passionnée maintenant qu’hôte du Paradis il voyait le Prophète face à face et participait aux conciliabules où se règle l’Année du Destin. Quand la nuit venait et que les bruits mystérieux révélant la vie de l’univers semblaient les voix des présages, le pâtre, le chamelier, la femme revenant de la fontaine tournaient les yeux vers les petites surfaces blanches des murs de la Koubba — et se rassuraient. Le petit dôme émergeait de l’ombre comme sur la mer le fanal posé sur un rocher blanc. On croyait voir son esprit luire comme une lumière. Vers ce tombeau d’un enfant du Prophète, s’élançaient les aspirations ardentes d’une humanité qui ne connaît pas les limites de la raison et de la déraison, du possible et de l’impossible, et pour qui le miracle n’est que l’extension facile du bienfait.

Il arrivait dans cette nuit du Temps où s’enfoncent les périssables vies humaines que le Saint lui-même, son nom, son histoire s’évanouissaient. Les pierres sur sa tombe s’écroulaient en poussière. Nul témoignage écrit ne perpétuait sa mémoire ; ses descendans s’étaient éteints ou dispersés ; les légendes orales s’étaient déformées en contes fantastiques. Mais il restait les choses, les arbres, les sources, les grottes mêlés au souvenir de sa vie. Inconnu et invisible, il demeurait pourtant le maître. Il n’était pas indifférent de venir aux lieux qu’il avait fréquentés, de suspendre des amulettes aux feuillages de l’olivier qu’habitait son esprit. Et la rose mystique entée sur le tronc islamique, éclose un instant aux rayons de la sainteté, de la filiation sacrée retournait encore une fois à l’état de nature. Avec toutes les espérances qu’il avait suscitées, le