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les voies certaines de l’au-delà, mais plus sensible à ce qu’il voyait qu’à ce qu’il ne voyait pas, il saisissait la chaîne d’en bas, et pauvre, ignorant, solitaire, il se retrouvait après un songe, agenouillé au bord des fontaines, les pas dans les pas de ses ancêtres, comme eux n’adorant qu’un dieu de limon : le marabout conjurateur des esprits.

Laissons le pauvre solitaire, et regardons le tableau que nous a laissé l’héroïque Coppolani d’un jour de joie, d’un jour de fête, l’Haïd El Kédir. Les coqs chantent et dans le frisson du matin l’aurore s’annonce. Un fellah sort de son gourbi boueux, il se dirige vers un monticule et le gravit de son pas régulier. Il se place en face du soleil levant et récite la prière du fadjer. Ses voisins tour à tour apparaissent et suivant ses pas le rejoignent. Ensemble ils invoquent Allah-Taada. On dirait des prêtres antiques célébrant le culte du soleil. Après la prière, ils s’assient en cercle couvrant leurs pieds d’un pan de leurs burnous ; le capuchon rabattu sur la tête, la tête appuyée sur l’avant-bras et le coude sur les genoux. Alors, les yeux perclus dans l’espace, ils contemplent en silence la lente fantasmagorie de l’aurore, les colorations des nuages, l’éveil de la terre, le glissement de la lumière dans l’ombre. Ce spectacle que nulle réflexion, nulle spéculation n’épuise, leur est merveilleusement nouveau ; ils sont devant lui passifs et heureux comme sont les arbres, comme est la terre elle-même qui sent la fraîcheur de la rosée. Ainsi, abîmés dans cette contemplation, ils sont comme les fantômes humains qu’une obscure Erda verrait en songe, tandis qu’elle roule dans l’espace portant en elle la mélancolie d’une destinée invariable, sans but et sans jeu. C’est ainsi qu’elle doit percevoir toutes ces créatures humaines dont elle sent pour quelques jours les pas vivans effleurer sa robe et qu’elle porte ensuite, pour les siècles couchés, immobiles, ensevelis dans son sein. Mais nos fellah, plongés dans l’extase du silence, se réveillent. Ce ne sont point des fantômes, les voici debout. Musulmans pénétrés de la solennité du jour de fête et qui rient à l’avance au plaisir de dépecer le mouton fumant et d’en arracher les peaux croustillantes. S’ils ont choisi ce petit monticule pour y prier et pour y offrir tout à l’heure le sacrifice, c’est qu’il y a ici un lieu consacré, non pas la Koubba classique, mais la mzara, sépulture du marabout connu ou inconnu. Quelques pierres superposées, un arbre isolé, peut-être seulement