Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ses splendeurs d’antan, dont la ruine est pour toujours révolue. Toutes ces magnifiques églises que je viens de décrire forment un ensemble incomparable qu’en aucun autre endroit du monde il ne serait possible de rencontrer. Cet ensemble est non seulement extraordinaire par le nombre des monumens, par leur qualité, par l’état dans lequel ils se sont conservés jusqu’à nous, si l’on songe, qu’endommagés par de violens tremblemens de terre, des sièges épouvantables, ils sont restés depuis plus de trois cents ans, dans le plus complet état d’abandon ; mais encore pour l’étude du gothique ils offrent une abondante moisson de documens qu’en Europe la désastreuse guerre de Cent ans, les nombreuses luttes religieuses et civiles nous avaient ravis.

Tour à tour nous voyons s’épanouir en Chypre les influences les plus pures de l’Ile-de-France, de la Champagne, du Languedoc, de la Provence, auxquelles se mêlèrent plus tard le style flamboyant de Catalogne ou le style vénitien. Si je ne craignais d’avancer une idée fantaisiste, je dirais que c’est dans cette île d’Asie qu’il faut venir, pour mieux se pénétrer du charme de nos Écoles d’art d’Occident, spécialement de France ; car là, certains mélanges étrangers ne font qu’en rehausser la sobriété voulue, le goût impeccable.

Enfin et par-dessus tout, cathédrale, églises ou chapelles, dorées par les embruns, les siècles et le soleil, se dressent, sous un ciel éperdument bleu, sur de l’herbe verte comme de l’émeraude, dans un cadre indescriptible de repos et de solitude. Il semble que cherchant à obtenir le pardon pour ce que fut la Famagouste d’autrefois, il leur a été permis de lui survivre, dégagées des liens de l’humanité, afin de pouvoir continuer à honorer Dieu, mais cette fois dans une muette prière.

Cette solitude, ce silence les grandissent, les anoblissent encore davantage, les rendent mystérieuses, et, si cette ville merveilleuse était en Bretagne, sans doute y verrait-on, par les sombres nuits d’hiver, quand la tempête faisant rage déchire la nature et couche violemment les ajoncs jaunes des landes, des fantômes, revêtus d’étoles, venant célébrer les saints offices sur des autels de rêve, remplaçant ceux de pierre, à jamais disparus.

Dès que Famagouste eut pris de l’importance, on songea, naturellement, à mettre ses richesses et sa population à l’abri des convoitises des pirates et des nations étrangères.