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dans sa maturité et presque dans sa vieillesse, puisqu’il les exécuta en 1726, 1734 et 1759. Les fresques du Dôme, gâtées par de maladroites restaurations, n’ont pas grande valeur.. Au musée, à côté d’un Saint François de Sales médiocre et d’une Séance du Conseil de l’Ordre de Malte plus documentaire qu’artistique, il y a un assez bel Ange de l’Apocalypse planant au-dessus d’un joli paysage. Mais pour retrouver le vrai génie de Tiepolo, il faut aller à l’évêché et à l’oratoire de la Pureté.

Le palais archiépiscopal, élevé au début du XVIIe siècle pour les patriarches d’Aquilée, qui s’arrogèrent longtemps le même rang que les papes, abrite aujourd’hui leurs successeurs, les évêques d’Udine. C’est l’un des derniers patriarches, Denys Dolfino, qui commanda à Tiepolo la décoration des salons. Prises en détail, ces fresques ne sont pas parmi les meilleures de l’artiste ; mais leur ensemble lumineux et gai est tout à fait délicieux à l’œil. Quant à la peinture qui rayonne à la voûte du grand escalier, une Chute des anges rebelles, c’est une page vigoureuse et dramatique, d’une incroyable hardiesse de mouvement. Les groupes suspendus dans le vide semblent prêts à tomber. Pour Tiepolo, peindre un plafond fut toujours un jeu ; nulle part, il ne déployait plus à son aise les ressources savantes de son imagination et de sa fantaisie.

La décoration de l’oratoire de la Pureté est de vingt-cinq années postérieure. Tiepolo, moins actif, abandonna à son fils les murs latéraux et peignit seulement l’Immaculée Conception de l’autel et la magnifique Assomption du plafond. Celle-ci compte parmi ses chefs-d’œuvre : noblesse de l’invention, habileté de l’exécution, éclat du coloris, tout y est porté au plus haut degré ; et j’admire, ainsi que son éminent biographe, M. Pompeo Molmenti, avec quel art, « dans ce déploiement de couleurs éclatantes et d’idées saisissantes, Tiepolo sut garder un air de douceur et de grâce qui est inoubliable. » Ici, comme à Este, je suis frappé de voir combien il s’adapta facilement à la grandeur du sujet et combien, sans être vraiment croyant, — du moins on peut le supposer, — il se disciplina vite à la gravité des lieux où il peignait. Ainsi qu’avant lui Tintoret, et qu’après lui Delacroix, — pour ne citer que ces deux noms, — Tiepolo est la preuve que le génie d’un artiste peut parfois s’élever, sans le secours de la foi, à la beauté de la poésie religieuse.)