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m’a toujours séduit. La Vierge, vêtue d’une robe rouge et d’un superbe manteau bleu sombre, agenouillée et respectueuse, est une des plus simples et des plus nobles figures de Titien. L’ange n’a pas l’attitude doucereuse que lui donnèrent tant de peintres ; il arrive en coup de vent, et derrière lui, l’atmosphère tourmentée est chargée de gros nuages blancs qu’illuminent des rayons fulgurans. Dans cette même chapelle Malchiostro, il y a des fresques de Pordenone que je n’aime guère ; je crois que l’artiste ne fut jamais plus déclamatoire que lorsqu’il voulut imiter le Michel-Ange de la Sixtine ; je me rappelle, au premier plan de l’Adoration des mages, un homme dont les muscles énormes sont d’un déplorable effet et, à la coupole, un enlacement de jambes et de bras qui évoque plus un combat de lutteurs qu’une scène religieuse. — Dans le petit musée, dont le nom pompeux de Pinacoteca ne fait que mieux ressortir la pauvreté, il n’y a guère à citer qu’un joli portrait de Lotto, lequel, d’après les derniers travaux d’érudition, ne serait pas né à Trévise, mais à Venise. C’est une figure de dominicain, prieur ou économe ; ses clés sont devant lui, avec des pièces d’argent ; il va faire une addition et, la tête relevée, cherche s’il n’a pas oublié de noter une dépense. Dans son visage grave et triste, on retrouve bien la manière de Lotto.

Parmi les innombrables peintres locaux, j’avoue que je ne suis pas arrivé à me débrouiller entre Dario da Treviso, Pier Maria Pennacchi, Girolamo da Treviso, Girolamo Pennacchi, Vincenzo da Treviso, etc. Seul, un critique d’art pourrait se reconnaître entre tant de noms voisins et d’œuvres presque semblables. J’ai revu avec plaisir les deux petits tableaux de Girolamo da Treviso, dans la petite galerie qui précède la chapelle Malchiostro, et je me souviens qu’une année, en revenant de Brescia, leur teinte argentée m’avait rappelé le coloris du Moretto.

Des deux peintres trévisans plus célèbres, si l’un, Rocco Marconi, ne figure même pas dans sa ville natale, l’autre, Paris Bordone, y est au contraire représenté par l’un de ses chefs d’œuvre, l’Adoration des bergers de la cathédrale. Bien qu’abîmé par des restaurations, insuffisamment éclairé et mal mis en valeur dans un cadre rectangulaire qui ne s’adapte pas à l’ovale de la partie supérieure, on peut se rendre compte encore de l’éclatant coloris et de l’habile groupement des personnages. C’est un des meilleurs