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massifs de lauriers-roses, des lierres et des glycines grimpant partout, aux balustrades, aux rampes d’escalier, aux troncs d’arbres, forment un véritable fouillis de verdures. Par-dessus les murs, on aperçoit les clochetons de la Salute et, du côté du port, les mâts des vaisseaux, doucement balancés. Pareilles à ces musiques invisibles des anciens palais du Grand Canal, où les exécutans jouaient dissimulés derrière des tentures, les rares rumeurs de la ville arrivent, si précises et si assourdies pourtant, qu’elles semblent à la fois très lointaines et très proches. Ici, point de ces touristes pressés et trop exubérans qui finissent par gâter les plus belles choses. Et comme ce décor s’adapte bien à ma mélancolie ! Demain, je serai loin. « Il faut partir, hélas : écrivait Gebhart quittant Athènes. Je vais encore tourner une page de jeunesse et le dos à l’Orient. Si c’était pour toujours ! » Mais à quoi bon ressasser les plaintes que traîne toujours après elle la tristesse des adieux ? A la fin de ces heures d’Italie, je serais ingrat d’oublier qu’aucune d’elles ne me laisse un souvenir qui ne soit pas de bonheur. ; Toutes peuvent se compter au vieux cadran vénitien où je lus jadis, à mon premier voyage : Horas non numero nisi serenas.


GABRIEL FAURE.