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avec quelle aisance, quelle sûreté habile, quelle malice, émue pourtant !

Jérôme tombe à genoux et prie. Tout son orgueil est dans sa prière ; son orgueil et sa foi ; et puis son angoisse. Il joue un rôle ; et il sait qu’il le joue, mais il le joue de tout son cœur. Un tel maître, pour des disciples de vingt ans ! Son angoisse héroïque devient, chez eux, tous les scrupules. M. Mauriac les a très nettement présentés, ces tourmens de l’âme religieuse ; et il les a, dans son Jean-Paul chargé de chaînes, mêlés aux troubles de l’adolescence. Sa peinture est d’un artiste pieux, certes, et adroit.

L’auteur de l’Enfant chargé de chaînes nous a menés aux abords de l’église, sur le parvis où l’on cause avant d’aller à la messe ; et l’on traîne un peu. Mais on tient à la main son paroissien ; puis les cloches sonnent et vous appellent. Vous êtes sur le point d’entrer. C’est ici que l’auteur de l’Enfant chargé de chaînes nous abandonne. L’auteur de l’Homme du désir nous mène jusque dans l’église.

Dès la première page du livre, nous sommes avertis : ce n’est pas un livre pour les libertins. Las des « physiologies du roman contemporain, » M. Robert Vallery-Radot rêva d’une œuvre où fût chanté « l’amour véritable. » Quel amour ? « L’amour dont parle Dante, qui meut les sphères et les âmes ; » l’amour qui animait Pascal, la nuit qu’il écrivait : « Certitude. Certitude, sentiment. Joie. Paix ; » l’amour qui exalte les saints, « dont nous sommes les participans très indignes ; » enfin, l’amour de Dieu. Noble résolution, et qui est déjà l’honneur d’un écrivain : remplacer par de tels sujets, d’une si haute dignité, d’un si sublime intérêt, les petites histoires folâtres et mesquines dont les romanciers se contentent vulgairement. Le héros du livre est un prêtre, et qui raconte comment il a renoncé à tous ses désirs pour n’être plus qu’un vicaire dans une paroisse de faubourg. A-t-il renoncé à tous ses désirs ? Non. Il les a épurés, il les a transformés et glorifiés dans leur total substantiel, qui est l’amour divin ; il leur a donné toute la possession à laquelle les désirs ne savent pas qu’ils prétendent et qui seule les satisfait, la possession de Dieu.

Magnifique aventure ! Le livre est beau. Pourrait-il ne pas l’être, avec cette qualité de pensée, avec la fière audace de l’écrivain qui n’a pas redouté le poids d’une telle pensée et qui la porte sans défaillance ? Mais, je le lui reproche : il n’est que beau. Il ne me touche guère. Le héros de cette confession, — ai-je tort ? — je ne sens point qu’il ait passé par des péripéties où mon libertinage (peut-être) l’eût accompagné. Dès le commencement de sa route, il était, au prix de