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un jeune homme de ce temps. Le capitaine Nangès l’a sauvé, par son exemple, par son ascendant, par ce qu’a de persuasif le spectacle d’une existence analogue sans cesse aux principes dont elle se réclame. Nangès n’est pas un héros extraordinaire ; et il n’a point de génie. Mais, ce qu’il est, il l’est absolument : et il est officier. Il l’est comme on ne peut pas l’être davantage. Il l’est avec l’assurance qu’il a raison de l’être. Il a conscience d’appartenir à une équipe de gens — l’armée — qui ont une tâche en ce monde. Leur tâche : fabriquer de l’histoire. Or, à notre époque riche d’historiens, on ne fait plus d’histoire ; on en écrit, on n’en fait plus. C’est là, remarque Nangès, « un des signes les plus étonnans de notre barbarie. » Alors, les soldats ? Ils sont prêts, pour le jour où l’histoire recommencera. Et puis ils sont tout équipés, afin qu’il y ait des soldats. Il le faut : et cet impératif catégorique sur lequel repose l’affirmation de l’Église, nous le retrouvons pour l’affirmation de l’armée.

A la caserne, à la manœuvre et à la guerre d’Afrique, Nangès nous apparaît comme un être qui accomplit une besogne incontestable et dont l’efficacité n’est soumise à nulle hésitation ni à nulle chicane : regardez-le !... Ainsi l’armée, de même que l’Église, ouvre un refuge de tranquillisant dogmatisme à des âmes que le doute idéologique empoisonnait.

Le roman, d’un bout à l’autre, est salubre : on s’y porte bien et, à le lire, on sent que vous fouette un air tonique, que vous excite une allégresse de santé. Le roman, vers la fin, prend une véritable grandeur. Dans le sud marocain, Nangès, après des escarmouches et des combats, rencontre un officier. Il le voit, comme dans un mirage ; et il se nomme : — Capitaine Nangès, de l’artillerie coloniale. — Lieutenant Timoléon d’Arc, répond la vision. Oui, l’ami du comte de Vigny... Et l’on se souvient du donjon de Vincennes, de la grandeur et de la servitude militaires. Nangès, comme Timoléon d’Arc et le comte de Vigny, a éprouvé « la grande tristesse de l’armée. » Mais, dit à Nangès Timoléon d’Arc, « vous connaissez, vous autres, des grandeurs nouvelles ; vous avez dans le cœur la haine, c’est ce qui nous manquait. Depuis quarante ans... Le comte de Vigny l’a bien dit : nous ne pensions qu’à cette grande ombre qui nous dominait ; au lieu que vous, vous attendez quelqu’un... » Et Nangès : « Ce que l’armée a été pour vous, monsieur, elle l’est aujourd’hui pour beaucoup de Français. Où trouver, se disaient-ils, une raison d’être ? où trouver une règle, une loi ? où trouver, dans le désordre de la cité, un temple encore debout ?.. »

Cette pensée, à laquelle M. Ernest Psichari a dédié l’Appel des