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pose très nettement la question suivante : « Qu’est-ce qui arrivera si la Turquie recule indéfiniment l’accomplissement des obligations que le Traité de Lausanne lui impose et si, en conséquence, l’occupation italienne se prolonge indéfiniment ? » Quand on énonce de pareilles questions, on devrait y répondre : sir Edward n’y a pas répondu. Ici encore il a temporisé. « Nous n’avons pas à nous occuper pour le moment, a-t-il dit, de ce qui arrivera si un ajournement indéfini se produit. La grande chose, c’est que le principe suivant est posé : la destination des îles de la mer Egée intéresse toutes les grandes puissances ; aucune des grandes puissances ne peut s’en réserver une seule ; la question des îles est d’un caractère européen et sera réglée par toutes les puissances. » Soit, mais si toutes les puissances ne jugent pas avoir le même intérêt dans l’affaire, des différences d’attitude ne se manifesteront-elles pas entre elles ? Comment ne pas se rappeler ici tel autre passage du même discours que nous avons cité et d’où il résulte que, si toutes les puissances sont facilement d’accord pour ne rien faire, chacune, quand il faut agir, ne le fait que dans la mesure de son intérêt particulier.

Ici, une remarque. Il y a quelques jours, toute la presse italienne est partie en guerre contre la presse française parce que celle-ci, après avoir pris acte des assurances positives données par l’Italie à ce sujet, avait conclu (pie les îles seraient un jour évacuées. Aujourd’hui la presse italienne se montre pleinement satisfaite des déclarations de sir Edward Grey et nous reconnaissons nous-mêmes, avec une non moindre satisfaction, qu’elle est revenue par contre coup à notre égard à des sentimens meilleurs, à ceux qu’elle aurait toujours dû avoir, parce que nous les avons toujours mérités. La presse française n’a parlé à aucun moment avec passion de la question des îles et elle n’en a jamais dit autre chose que ce qu’en a répété le ministre anglais. Pourquoi donc cette différence de traitement à notre désavantage ? Mais tout cela appartient au passé. Le ciel s’est rasséréné sur l’Italie et nous profitons de cette faveur du temps. Jouissons-en sans essayer de tout prévoir. Notre esprit trop logique nous emporte de déduction en déduction à des conséquences qui ne se produiront peut-être pas et qui, en tout cas, sont lointaines. Qui sait si les Anglais ne suivent pas une règle plus sage en ne s’imposant pas la tâche de résoudre des questions qui ne sont pas encore posées ? Sir Edward Grey se contente de jalonner des principes et il attend les événemens.

Il est probable que c’est ce qu’il fera aussi et ce que, finalement, nous ferons tous au sujet d’Andrinople. Les Turcs y sont : on ne voit