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des trouveurs ou des créateurs (les poètes) a découvert, au point de jonction des corps et des âmes, cette étonnante application des lois de la nature physique à la nature intellectuelle, qui fait que la cadence capte l’âme et l’entraîne dans son mouvement ; le rythme, le nombre, l’harmonie, la poésie deviennent ainsi, à leur tour, des auxiliaires merveilleux de l’histoire.

Les Druides apprenaient aux enfans de longs poèmes pour assurer le souvenir des faits du passé. Que sont l’Iliade, l’Odyssée, les Travaux et les Jours, sinon des récits historiques ou des traditions techniques confiées à la cristallisation du vers ? L’Enéide de Virgile, la Pharsale de Lucain, l’Art poétique d’Horace sont aussi des œuvres techniques ou mnémotechniques ; le théâtre, tragique ou comique, est toujours une leçon, un enseignement ; toute pédagogie commence par la récitation des vers ; et, si la poésie, se dégageant de ces origines si noblement utiles, a ouvert les ailes à l’envolée lyrique, si, de concert avec sa sœur, la musique, elle emporte l’âme humaine jusqu’au rêve, jusqu’au ciel, elle ne peut oublier son point de départ ; elle n’est assurée de sa grandeur que lorsqu’elle devient classique, c’est-à-dire quand elle est digne d’être apprise aux enfans dans les classes.

La poésie et l’histoire sont les deux maîtresses des mœurs : elles formulent les règles de la conduite en leurs sentences ou en leurs exemples. La morale, si elle a des sanctions plus hautes, n’en est pas moins le résultat de l’expérience de l’humanité. Chercher le bien, fuir le mal, honorer ses parens, aimer son prochain, se dévouer pour sa patrie, faire aux autres ce que l’on voudrait qui vous fût fait à vous-même, ces préceptes sont nécessaires à l’existence de la société et à sa durée. Elle périrait s’ils n’étaient pas appliqués par la grande majorité de ses membres. Mais qui est-ce qui le dit et qui est-ce qui le prouve, si ce n’est l’Histoire ?

C’est elle qui fonde le pacte social sur le sacrifice. L’histoire est une morale ; elle est la maîtresse des princes et des peuples, elle travaille sans cesse à la distinction du bien et du mal ; elle passe au crible les actes des hommes et sépare l’ivraie du bon grain. Elle juge. Elle est le tribunal où siège la conscience des générations.

Rien que par le fait qu’il naît, l’individu accepte, de la société, l’abri, le secours, la protection ; il suce une dette inamortissable