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Cicéron, dans un passage célèbre, donne l’esthétique de l’histoire : « Elle est, dit-il, le témoin des âges, le flambeau de la vérité, l’âme du souvenir, la maîtresse de la vie, la messagère du passé. » Pour remplir le vaste cadre qui est le sien, quelle variété, quelle abondance, quelle pénétration, quelle application ne lui faut-il pas ? Et quelle puissance créatrice ! Représenter la vie des sociétés et la vie des hommes, en évitant le double écueil de la sécheresse ou de la profusion, évoquer les événemens dans un raccourci tel que le nécessaire soit dit et rien que le nécessaire, déposer, dans le récit, l’émotion comme la lame se cache au fourreau, tel est le devoir de l’historien. Il a pour sujets éternels l’homme et la nature. Réaliste et idéaliste, il touche les deux cordes. La vérité et l’expression, mais, n’est-ce pas tout l’art ?

L’historien est un conteur. L’homme aime à se sentir bercé par des récits et des fables. Toute image de sa propre existence l’amuse, l’intéresse, le passionne. Assise autour du foyer, la famille retient son souffle, tandis que la mère-grand dit les légendes de la primitive humanité. Le Petit Chaperon ronge et l’Oiseau bleu, le Petit Poucet et la Belle au bois dormant meublent, de leurs images fantasques, le cerveau impressionnable de l’enfance ; Shéhérazade endort le sultan au narré adroitement interrompu des Mille et une Nuits ; les dames et seigneurs, rassemblés par Boccace, oublient les horreurs de la peste en écoutant le Décaméron. C’est peut-être parce qu’elle savait, mieux que nul autre, tisser la trame des contes légendaires que la « Grèce menteuse » a été l’éducatrice de l’humanité. Personne n’a dit comme notre La Fontaine le charme toujours nouveau des vieux récits :


Nous sommes tous d’Athène en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d’âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.


On affirme que les grandes épopées chevaleresques, celles qui ont fourni au moyen âge la noble littérature des Chansons de Geste, étaient récitées, par les trouvères, le long des routes interminables qui menaient les croyans aux pèlerinages et aux croisades. L’une soutenant l’autre, la légende et l’histoire marchaient ainsi de compagnie, l’imagination abrégeant la route de