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elle est partout : elle émane du sol, respire dans les pierres, flotte dans l’atmosphère ; elle transforme la honte en honneur, et la cohue en régiment ; c’est l’histoire qui, d’un haillon, fait un drapeau.

La psychologie des foules s’adressant à l’instinct est elle-même instinctive. Les époques, les règnes, les siècles, elle les juge et les baptise avant qu’ils soient achevés : ceux-ci sont appelés grands, ceux-là barbares, ceux-ci sont les sages, et ceux-là les fous ; ceux-ci sont à jamais déplorables et ceux-là à jamais enviables, parce que le sentiment des foules en décide ainsi, et l’histoire, quoi qu’elle en ait, subit ce jugement et tente, en vain, de le réviser. Voici, donc, que sa tâche se complique encore et que, dans cette complexité plus large, — large comme la vie, — elle risque de se perdre : elle quitte le sol et s’envole dans la légende.


Mais une attache suprême la retient : le sens profond et précis de son utilité. L’histoire sait, qu’étant la faculté humaine par excellence, elle est surtout une faculté d’action ; Aristote a dicté sa loi quand il a dit : « Ce qui importe, c’est non de savoir, mais d’agir. « L’histoire ne serait qu’un vain bruit de mots, si elle ne tendait sans cesse à l’action : telle est la véritable philosophie de l’histoire. La prétention de découvrir, dans l’évolution des choses humaines, des lois analogues à celles de la nature se heurte à l’objet même de l’étude, c’est-à-dire la liberté humaine : mais cette liberté peut être dirigée, conseillée, redressée, guidée, et là c’est de la philosophie.

Voilà l’histoire sur son véritable domaine. Ses lois sont d’ordre psychologique : l’âme humaine, — individus et foules, — en fait le sujet. Par l’histoire, l’homme apprend la beauté de son effort et la grandeur de son impuissance : car il recommence toujours une tâche qu’il n’achève jamais. La validité du travail et la tragique noblesse de l’insuccès, les justes hésitations de la raison entre l’optimisme et le pessimisme, sont les belles démonstrations de l’histoire. Elle expose à l’homme les causes de sa continuelle espérance parmi celles de son perpétuel découragement. L’homme ne peut savoir si le progrès se fait en ligne droite, en spirale ou en cercle, ce sont les solutions différentes et indifférentes d’un problème que les siècles n’ont pas éclairci : mais l’homme sait qu’il vit pour agir et qu’il doit agir bien.