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ailleurs, dans toutes les grandes guerres, dans les troupes de Flandre, de Champagne, de Belgique, de Sambre-et-Meuse, du Rhin, de Hollande et de Cisalpine. Il épousa une belle Italienne, — en souvenir inconscient de Françoise Pugnaire, méridionale.

Mais Joseph Joubert ?... Il nous serait agréable de savoir l’enfant qu’il a été, de le voir un peu nettement parmi les siens. Je ne me le figure pas sensible autant qu’Elie au récit belliqueux. Doux et casanier, sage, il demeure plus que les autres auprès de sa mère. Il est touché de la venue et des brusques départs des frères et des sœurs qui n’ont fait que passer un instant à la maison, et qui sont morts, et qui laissent après eux comme un émoi déconcerté. Il est, de tous les garçons, l’aîné. Il a pour sa mère une tendresse infinie ; il devient, avant sa quatorzième année, un petit confident pour elle : ce qu’on lui dit, d’une tremblante voix, il le comprend et, le reste, il le devine.

Ces détails, je ne les invente pas ; je les déduis de quelques pages qu’il a écrites en 1799, quand, après sept années d’absence, il retourna dans sa province, retrouva sa mère et, avec elle, la mémoire la plus éloignée et la plus chère de sa vie. Sans doute alors, ayant quarante-cinq ans, mêlait-il de nouvelles impressions a la mémoire ancienne. Mais on sépare sans trop de peine l’une et les autres ; ou, plutôt, on aperçoit toute l’ancienne vérité dans le miroir nouveau qui la reflète.

Ces quelques pages ne sont qu’un brouillon. Peut-être les destinait-il à Pauline de Beaumont ; cependant elles ne sont pas entrées dans une des lettres qu’on ait conservées. Ecrivait-il pour lui tout seul ou bien pour la jeune femme qu’il savait si intelligente aux sentimens et aux idées ? En tout cas, il écrivait exactement selon son cœur.

Donc, en 1799, Mme Joubert racontait à Joseph Joubert qu’il avait été un enfant doux. Et il note : « Je rends grâce à la nature, qui m’avait fait un enfant doux. » Sa mère l’avait allaité. Elle lui raconta que jamais il ne lui avait mordu le sein ; et, s’il pleurait, il ne persistait pas à pleurer, sitôt qu’il entendait la voix de sa mère : « un mot d’elle, une chanson arrêtoit sur-le-champ mes cris et tarissoit toutes mes larmes, même la nuit et endormi. » Joubert ajoute : « Jugez combien est tendre une mère qui, lorsque son fils est devenu homme, aime à entretenir sa pensée des minuties de son berceau. » Et puis : « Mon enfance