Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingt-six ans, l’autre seulement à trente-cinq ans ; et Louise devait rester fille, soignant sa mère et, après la mort de sa mère, demeurant toute seule à Montignac jusqu’à sa mort en 1837. Mais, des trois fils, — ne parlons pas encore du petit Arnaud, — Joseph dit Beauregard et puis Elie étaient du côté paternel : tous deux seront médecins. Joseph Joubert était, lui, plus proche de sa mère ; et l’on imagine, entre lui et elle, ces analogies d’âme, ces affinités qui font les préférences involontaires, les subtiles et profondes intimités. Marie-Anne Joubert était plus instruite que, de coutume, ne l’étaient, en ce temps-là, dans une petite ville périgourdine, les femmes de la petite bourgeoisie. Elle put suivre les études de ce jeune garçon, participer à son premier émoi de littérature.

Il y avait, à Montignac, l’une de ces modestes écoles où un brave homme, paré du titre de « maître ès arts, » enseignait aux gamins l’art de lire, d’écrire et de compter, moyennant deux livres par mois[1]. Il les conduisait jusqu’à la prime adolescence en leur donnant aussi des leçons un peu plus fortes de géographie et d’histoire, de style et de religion. Le maître de Joseph Joubert était un bon vieux pédagogue. Ensuite et du temps d’Arnaud, vint s’établir à Montignac un jeune professeur, tout fringant, tout vif et qui d’abord fut accueilli très volontiers. Il apportait une façon nouvelle ; mais il abusa de la nouveauté, suscita des jalousies et déplut. Il eut la vogue et la perdit. Il se vengea, un jour de distribution de prix en faisant jouer par ses élèves une comédie où les notables de la ville étaient ridiculisés. On le rossa ; on l’obligea de quitter le pays. Il partit pour Paris, où le reçut avec indulgence Joseph Joubert. Mais Joseph Joubert, à Montignac, avait eu pour maître le vieil homme qui suivait la pratique ancienne[2].

Une déclaration royale du 14 mai 1724 enjoignait aux pères, mères et tuteurs d’envoyer les enfans, jusqu’à l’âge de quatorze ans, à l’école[3]. La déclaration royale fut obéie mollement : le nombre des gens qui, dans les actes, ne signent pas, faute de savoir, est assez considérable au XVIIIe siècle. Mais Jean et Marie-Anne

  1. Cf. A. Dujarric-Descombes, Aperçu de l’instruction publique en Périgord avant 1789 (t. VIII, p. 489 du « Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, » année 1881).
  2. Souvenirs inédits d’Arnaud Joubert (Archives de M. Paul du Chayla).
  3. Actes royaux, 1724. Bibliothèque nationale, F 23 623.