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les atrocités de l’enfer et un pharisien ignoble qui pince les lèvres en bourgeois important. Un nègre hurle sous le pharisien ; devant le nègre, un gros soudard à trogne rubiconde étouffe sous son casque : plus bas que le soldat, le mauvais larron, au crâne garni d’emplâtres, ricane, gouaille, grince. Des tortionnaires auxquels se mêle un Chinois le suivent, insulte aux dents et aux yeux. Derrière le Christ sont groupés un bourreau moustachu aux airs de bravache, un vieillard édenté et comme endormi, une sainte Véronique gracieuse faisant pendant au mufle provocateur du mauvais larron. Dans certaines de ces têtes, les rencontres du « faizeur de dyables » avec le génial caricaturiste que fut le Vinci sont extraordinaires ; de plus, il y a dans ce Portement de Croix des transparences de tons, des bigarrures d’étoffes, des dégradations lumineuses, des colorations prismatiques, des teintes d’arc-en-ciel qui font de cette œuvre une sorte de carnaval de couleurs, le plus féerique et le plus lyrique que l’on puisse imaginer. Une autre œuvre du Musée est attribuée avec beaucoup de raison à Bosch : un Saint Jérôme en prière, en vérité étendu de tout son long, étalé sur un grand crucifix, au centre d’un large paysage lequel est là, semble-t-il, pour contrôler l’assertion du catalogue : « Bosch est l’un des inventeurs du paysage du XVIe siècle ; Patinier procède de lui. » Bosch agit sur l’art par son lyrisme, son imagination visionnaire, son génie parénétique, Geertjen tot Sint Jans par ses inventions dramatiques, ses effets de clair-obscur, ses groupemens hardis. Quelques peintures du musée de Gand disent l’action de ce dernier maître sur les Néerlandais septentrionaux : un Calvaire plein de douceur de Jacob Cornelisz van Amsterdam (né à Oostzaan, près d’Amsterdam vers 1470 et maître de Jan Scorel),une Pietà tourmentée de Cornelis Engel- brechtsz de Leyde (1468-1535), un Crucifiement (westphalien ? vers 1515 ?) de belle technique, mais aux personnages hydrocéphales. — Une saisissante Mise au Tombeau anonyme, peinte vers 1515-1525, combine le pathétique de Gérard de Saint-Jean et l’étrangeté de Bosch, tout en reproduisant une composition gravée d’Albert Dürer.

On veut voir dans cette Mise au Tombeau une œuvre gantoise. Belle, mais non d’une beauté inédite, elle confirme que Gand ne jouera pas un rôle essentiel dans l’histoire de la peinture flamande renouvelée. Pourtant la ville est riche au début