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du musée de Gand s’apparentent à la manière de Coecke, ou plutôt du « Maître des Saintes Cènes : » une Adoration des Mages, une Femme adultère, une Nativité qui s’inspire d’une composition de Raphaël. Que deviennent en tout ceci l’école et la tradition gantoises ? D’école, il n’y en a pas. Les événemens politiques, les troubles religieux ne le permettent point. En 1540, Charles-Quint, « estant assis en son siège, environné de ses princes, noblesse et conseil, » faisait promulguer à haute voix la suppression des privilèges communaux ; l’orgueil gantois devait courber la tête à jamais. Pourtant, la prospérité de la ville n’était point morte. Le creusement du canal vers Terneuzen la réveilla. En 1565, Guichardin compare Gand à Milan, la plus riche des villes italiennes. Il y a toujours place pour les peintres dans les centres opulens. Gand eut un maître notoire dans la seconde moitié du XVIe siècle : Luc de Heere, né en 1534, mort en 1585.

Sa vie reflète l’instabilité des temps. Peintre-poète, choyé à Fontainebleau et en Angleterre, dessinateur de l’imprimerie Plantin, collectionneur érudit, ami de Marnix de Sainte-Aldegonde, il fut banni de Flandre en 1568 par le duc d’Albe, revint à Gand et mourut, croit-on, à Paris. Saint-Bavon a de lui une assez méchante grisaille : La Reine de Saba devant Salomon. Salomon, c’est Philippe II, et les femmes qui l’entourent, vêtues à la mode contemporaine, visent à l’élégance imposée par le Primatice. Elève de Frans Floris et importateur à Gand du romanisme intégral, Luc de Heere eut un mérite : il chanta les beautés de l’Agneau dans une Ode fameuse, première esquisse d’une histoire de l’art flamand. Son élève Karel van Mander est le chroniqueur de ce Schilderbeck qui, en dépit de la plus sérieuse conscience, a tendu maints pièges à l’érudition moderne. Luc de Heere et ses élèves auraient pu rallumer les flammes éteintes de l’école gantoise. Mais le prestige des peintres anversois nuisait à leur activité locale. Pour copier l’Agneau, Philippe II envoya à Gand, de 1557 à 1559, Michel Coxcie, dit le Raphaël des Flandres. Le fils de ce Michel, Raphaël Coxcie, acheva en 1588 pour la Keure gantoise un Jugement dernier qu’on voit au Musée ; l’œuvre est violente, froide, conforme aux formules d’un romanisme transcendant, mais elle s’éclaire au centre d’un ou deux beaux corps féminins. D’autres romanistes anversois travaillèrent pour Gand : Jacques de Backer, dit