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— cet humanitaire, cet ami de Voltaire et de Diderot avait un culte : Jeanne d’Arc.

D’où lui était venu ce culte ? Je ne crois pas que ce soit très difficile à deviner. Tous ceux qui, lors de l’Année terrible, avaient l’âge d’homme et savaient comprendre, ont été bouleversés dans les profondeurs de leur conscience par les spectacles dont ils étaient les témoins, et en ont, une fois pour toutes, subi le contre-coup. Meurtris par le présent, leur pensée s’est réfugiée dans le passé : elle a demandé à l’histoire ses enseignemens, ses âpres leçons ou ses consolations. Taine, pour avoir vu la brute humaine déchaînée par la guerre civile, a voulu revivre la conquête jacobine. D’autres, pour avoir vu le sol national envahi par l’étranger, ont évoqué le souvenir des invasions anciennes. Tous portaient la trace d’une même blessure : tous avaient au cœur un même sentiment auquel, aujourd’hui encore, on reconnaît ceux qui ont souffert les affres de 1870. On avait beau être humanitaire, en ce temps-là, on était quand même et avant tout patriote. Ajoutez que M. Joseph Fabre était sincèrement, ardemment idéaliste. C’est de lui aussi qu’on aurait pu dire que son âme était une cathédrale désaffectée. Une clarté y brillait qu’il croyait purement humaine ; mais toute clarté ne vient-elle pas d’en haut ? La figure de Jeanne apparut radieuse à cet illuminé. Et il songeait : « Quoi ! Une fille des champs accomplit ce que n’avaient su faire ni les seigneurs, ni les hommes d’armes ; elle boute l’Anglais hors de France et couronne l’héroïsme par le martyre ! Ce n’est pas là une de ces légendes, comme il en jaillit de l’imagination des peuples enfans tout enveloppée de merveilleux : c’est de l’histoire. Et une seule histoire, la nôtre, contient une telle merveille ! Et la nation qui a ce souvenir dans son passé, n’a pas songé à le célébrer par une fête nationale ! » Ainsi ce dévot de Voltaire faisait à la Pucelle amende honorable des plaisanteries voltairiennes. Et tous ses discours aboutissaient à la même conclusion : il faut instituer en France une fête nationale de Jeanne d’Arc.

Pour répandre son idée, il s’est servi du journal comme de la tribune, il a multiplié livres et brochures. Il a publié Jeanne d’Arc libératrice de la France et Procès de condamnation de Jeanne d’Arc, et après avoir écrit ces livres pour les lettrés, il en a donné des éditions populaires. Il a publié Le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, raconté et traduit d’après les textes latins officiels ; et Jeanne d’Arc et le peuple de France, et Les bourreaux de Jeanne d’Arc et sa fête nationale. J’en passe, mais je ne puis omettre une sorte de catéchisme