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Jeanne d’Arc répond à ce qu’elle faisait écrire en son nom : « Elle rêvait à l’établissement d’une paix universelle et perpétuelle entre tous les membres de la chrétienté. » Mais cette précaution même atteste que, dans sa grande honnêteté, M. Fabre n’est pas tout à fait rassuré : il se rend vaguement compte qu’il a pu forcer la note, et qui sait ? défigurer peut-être la pensée de son héroïne.

Enfin Orléans est délivré. Jeanne, prosternée dans l’église Sainte-Croix, reçoit, de la bouche même de saint Michel, archange, l’annonce de son prochain martyre : elle l’accepte avec ferveur. Puis reprenant la parole en son nom, l’auteur adresse à Jeanne d’Arc une « invocation » très ardente, très noble, très pure et très pieuse, où je ne puis m’empêcher de souligner un ou deux traits qui détonnent. On est un peu choqué d’entendre qu’Athènes eût fait de Jeanne d’Arc une déesse : qu’est-ce que notre sainte irait faire dans cet Olympe où la société était brillante, mais si mêlée ? Et on ne s’attendait guère que la leçon qui se dégage de son martyre, ce fût de nous faire « aimer la tolérance. » Jeanne d’Arc apôtre de la tolérance n’est guère plus historique que Jeanne d’Arc pacifiste... Mais en embrassant le culte de la bonne Lorraine, M. Fabre n’a consenti à renier aucune des idées qui jusque-là lui étaient chères. Il est pour la conciliation des doctrines, comme il est pour la réconciliation des peuples. Il pratique ce que les philosophes appellent l’union des contradictoires...

Ce sont là, on s’en rend bien compte, quelques fausses notes que j’ai, exprès, accentuées en les isolant. Ce sont quelques vers à supprimer dans les treize cents vers de M. Joseph Fabre. Il reste une œuvre de bonne foi, naïve et touchante par sa naïveté. J’ajoute : une œuvre utile, puisqu’elle met à notre portée et fait entrer dans la circulation la substance d’une immense composition devenue illisible autant qu’injouable. Il paraît que la Délivrance d’Orléans a été jouée par les jeunes filles de l’École normale de Sèvres, comme Esther le fut jadis par les demoiselles de Saint-Cyr. Il y en a eu d’autres représentations, dont une à Orléans. M. Joseph Fabre ne souhaite à sa pièce d’autre succès que l’accueil d’un public juvénile et populaire. Elle en est grandement digne.


RENE DOUMIC.