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LETTRES DE LOUIS VEUILLOT
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MADAME LEONTINE FAY-VOLNYS[1]


Paris, 21 juin 1874.

Ma bonne chère amie, je voulais vous écrire de la Bretagne et je ne l’ai pas fait. Je suis resté à ne rien faire du tout par ordonnance du médecin. Mais ce n’est pas au médecin que j’ai obéi, je suis, Dieu merci, incapable de cette bassesse. J’ai obéi à la maladie tout simplement. Le médecin m’aurait ordonné d’écrire que je n’aurais pas obéi davantage. La tête me manque : je suis horriblement fatigué. J’ai regardé la mer, les arbres, et surtout les Petites Sœurs des pauvres chez qui j’étais et qui sont vraiment célestes. J’avais avec moi ma fille, autour de moi des amis anciens, vénérables et chers ; j’avais le moyen par cette chère et obligeante poste de n’être pas loin de vous. Je ne me figure pas le paradis beaucoup plus beau, et au milieu de tout cela, bien portant d’ailleurs comme animal, j’ai passé quinze jours à sentir et à considérer mes ruines. Dès que je voulais écrire, je n’étais plus ruiné, j’étais mort. Plus de pensée, plus d’expressions, plus de souvenirs, plus rien qu’un mal de tête sourd et assommant. Je n’ai pas même entrepris d’écrire à la Visitandine. Quel état piteux et combien il me fait expier mes anciens vacarmes. Enfin cela passe un peu, et hier, après beaucoup de sueurs et d’embarras, j’ai pu vaille que vaille bâtir un bout

  1. Voyez la Revue du 15 août.