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crédulité et une naïveté charmantes, au moment où elle allait s’effacer : Hérodote de la décadence, conteur avant tout, moins haut assurément et moins épique que le père de l’histoire, mais lui aussi amusant, curieux, le cœur bien placé. Il y avait, dans cette âme de collectionneur d’histoires, un goût très noble pour la vertu et pour l’héroïsme. Sensible à la grandeur antique, il sut la rendre, sinon dans son austérité, du moins dans sa grâce légendaire. D’un train agile, quoique pédestre, il atteint parfois les sommets. La lecture de ses œuvres amuse toujours, élève souvent. Il manquerait quelque chose à la physionomie de l’humanité si Plutarque n’avait pas écrit.

La gloire de Plutarque a été toujours vivante et fraîche à travers les siècles, non pas seulement parce qu’il instruit, mais aussi parce qu’il amuse. Jean-Jacques Rousseau et Napoléon le lisaient. Il n’est guère d’ « honnête homme, » comme on disait au XVIIe siècle, qui puisse se séparer tout à fait de Plutarque.

Parmi ses chances non imméritées, le « bonhomme » Plutarque a eu celle d’être traduit en français par le « bonhomme » Amyot. Quelle chose délectable que ces belles vies racontées dans cette belle prose. Puisque notre Montaigne en a jugé, pourquoi ne pas lui laisser le soin de prononcer le jugement : « Je donne avec raison, ce me semble, la palme à Amyot sur tous nos écrivains françois, non seulement pour la naïveté et pureté de langage, en quoy il surpasse touts aultres, ny pour la constance d’un si long travail, ny pour la profondeur de son sçavoir, ayant sceu développer si heureusement un aucteur si espineux et serré (car on m’en dira ce qu’on vouldra, je n’entends rien au grec, mais je veois un sens si bien joinct et entretenu partout en sa traduction que, ou il a certainement entendu l’imagination vraye de l’aucteur, ou, ayant, par longue conversation, planté vifvement dans son âme une générale idée de celle de Plutarque, il ne luy a au moins rien preste qui le desmente ou qui le desdie), mais surtout, je luy sçais bon gré d’avoir seu trier et choisir un livre si digne et si à propos pour en faire présent, à son païs. Nous aultres, ignorans, estions perdus, si ce livre ne nous eust relevés du bourbier : sa mercy (grâce à lui) nous osons à cett’heure et parler et escrire ; les dames en régentent les maistres d’eschole ; c’est notre bréviaire[1]. »

  1. Essais, liv. Il, ch. IV.