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trois reprises, il croit devoir nous conter, avec une trop visible complaisance, telle anecdote un peu leste touchant Mme du Châtelet[1]. Voltaire, « ce grand et bon rieur, » lui inspire de la « vénération[2], » et il épouse bien aisément les haines du patriarche : « Je comprends, nous dit-il, qu’il (Voltaire) fasse crier ceux dont il a renversé, ou du moins ébranlé la marmite, cette vieille marmite où jadis bouillit plus de chair humaine que dans toutes celles des sorcières. » Il nous dira, de Voltaire encore et du « bon » Denis Diderot : « Ce sont là des hommes religieux, les saints de la Bible humaine[3]. » En revanche, le christianisme, le moyen âge sont traités sans la moindre sympathie : « Au moyen âge, le corps avait paru haïssable. La femme était coupable d’être belle... L’art byzantin multiplia les laideurs salutaires... La vie au moyen âge est le bouton rigidement clos d’une fleur mystique ; en France, la fleur s’ouvre dès l’aube du XVe siècle, pâle, souffreteuse, à cause des vers rongeurs qui l’entourent, et de l’ombre opaque des châteaux de guerre, des bastilles qui la submerge[4]. » Verlaine qui a connu à cette époque lointaine le futur poète des Poèmes dorés nous le représente très épris de l’époque révolutionnaire, plein de sympathie pour les Girondins, mais haïssant les Jacobins[5]. De fait, il avait entrepris avec son ami Xavier de Ricard une vaste Encyclopédie de la Révolution, à laquelle Michelet, Quinet, Leconte de Lisle, Louis Blanc avaient promis leur collaboration, et dont l’objet était « de dégager la tradition révolutionnaire de toutes les légendes autoritaires et réactionnaires qui l’ont troublée et obscurcie » et « d’arriver à une affirmation nouvelle et plus positive de l’Esprit de la Révolution[6]. » Il donnait son adhésion

  1. L’Amateur d’autographes, 1er et 16 mai 1869 ; — le Bibliophile français, août 1870, mars 1872 (trois articles sur Desnoireterres, Voltaire et la société française au XVIIIe siècle, non recueillis en volume).
  2. L’Amateur d’autographes, 1er et 16 mai 1869, p. 147 (non recueilli en volume).
  3. L’Amateur d’autographes, 1er et 16 avril 1868, p. 109, 110 (non recueilli en volume).
  4. L’Amateur d’autographes, 16 mars 1869, p. 91 ; 1er et 16 juin 1869, p. 177-178 (non recueillis en volume).
  5. Paul Verlaine, Œuvres complètes, Vanier, 1900, t. V, p. 405-412.
  6. L’Amateur d’autographes, 1er et 16 juillet 1868, p. 173-178. — Dans un article sur Un éditeur de poètes en 1867 (le Chasseur bibliographe, mars 1867), Ad. Racot, après avoir décrit le groupe des poètes parnassiens qui entouraient Leconte de Lisle, ajoutait : « A côté de ce Cénacle et fraternisant avec lui, un groupe éclectique : A. France, le fils de l’éditeur du savant catalogue révolutionnaire, et qui, chassant de race, dresse l’oreille et fait flamber ses yeux au seul nom de cette époque superbe. » (p. 70-71).