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frémissante d’un accent assez profond et assez unique, pour que l’auteur ait pu, d’emblée, être classé par le public et la critique en dehors et au-dessus du cercle, certes enviable, des poetæ minores. Et l’on conçoit un peu que les Poèmes dorés n’aient pas été accueillis, à leur apparition, comme les premiers vers de Sully Prudhomme, de Heredia, ou même de Coppée.

Ce n’est pas d’ailleurs qu’en cherchant bien, on ne finisse par trouver, ou tout au moins par entrevoir, dans son fond intime et permanent, la personnalité du poète. Ils sont nombreux, les vers où, mêlant ensemble Lucrèce, Darwin et Schopenhauer, il chante et absout les transformations incessantes de l’être, la mort, condition et rançon de la vie, la vie, éternelle sous ses infinies métamorphoses, et « la Volupté féconde, » loi bonne, loi sainte de l’univers immortel. Qu’on lise les Cerfs, les Arbres, les Sapins, le Désir. Une des pièces les plus anciennes, l’Adieu, est plus significative encore. Le poète, un vendredi saint, est entré dans une église, et il y a vu prier avec une sombre ardeur la femme qui l’aimait :


Alors, pleurant sur moi, je reconnus, pensif,
Que tu m’avais repris cette femme, ô beau Juif,
Roi, dont l’épine a ceint la chevelure rousse !...
Dieu de la vierge sage et de la vierge folle !
C’est écrit : pour jamais toi seul achèveras
Les plus belles amours qu’on essaye en nos bras...
Jusqu’à la fin des temps toutes nos Madeleines
Verseront à tes pieds leurs urnes encor pleines.
Christ ! elle a délaissé mon âme pour ton Ciel,
Et c’est pour te prier que sa bouche est de miel !


Les Noces Corinthiennes[1], qui parurent en 1876, sont le chef-d’œuvre de M. Anatole France poète. La donnée n’en est pas très originale, puisque, c’est celle non seulement de la Fiancée de Corinthe, de Gœthe, mais, — je ne suis pas le premier à l’observer, — d’Atala, et les imitations ou inspirations de détail y sont innombrables ; mais tout cela est très adroitement fondu dans un joli cadre d’hellénisme, ou plutôt d’alexandrinisme ; et, comme dans les Martyrs de Chateaubriand, avec un vif sentiment de la réalité historique, l’auteur a très bien su représenter l’opposition morale du paganisme finissant et du

  1. La première partie des Noces corinthiennes a paru, sans changemens, dans le Parnasse de 1876.