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nos dépêches en Amérique, le « cent-vingt à l’heure » deviendra une allure de tortue, et nous ne verrons plus qu’une différence tout à fait insignifiante entre la vitesse du piéton, celle du cavalier et celle de la locomotive. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il nous agréerait longtemps de faire, avec la rapidité de la foudre, des voyages inter-astraux. Peut-être s’en dégoûterait-on.

Il est charmant d’aller plus vite que l’on n’allait la veille, mais le charme dure juste le temps qu’il faut pour s’accoutumer à cette vitesse nouvelle. Comme le mouvement, l’immobilité a ses plaisirs, non seulement aussi vrais, — tous les plaisirs sont « vrais, » du moment qu’on les ressent, — mais aussi grands. L’automobile, en traversant il y a dix ans un village écarté de la Basse-Bretagne, dérangeait la noce rurale massée sous de grands ormes sur la place de l’Église au carrefour de trois chemins. Les gens de la noce s’amusaient à regarder les gens de l’auto et leur véhicule encore ignoré ; les gens de l’auto se plaisaient à voir les costumes pittoresques des gars, les mitres de dentelles des filles avec leurs collerettes échancrées sur les épaules à la Marie Stuart. Mais qui des deux groupes avait le plus de plaisir, ceux qui demeuraient ou ceux qui passaient ?


I

Nomade lorsqu’elle était barbare, cette portion de l’humanité dont nous descendons a changé plusieurs fois de goût depuis dix-huit siècles. Elle paraît encore extrêmement remuante durant toute la première partie du moyen âge ; les Gallo-Romains, Francs ou Burgondes se déplaçaient sans cesse. Ils allaient lentement et constamment, comme des forains dans une roulotte, le temps n’ayant pas pour eux la valeur que nous lui attribuons et ce qu’ils avaient à faire étant rarement pressé. Cristallisés dans le régime féodal, ils ne bougèrent plus qu’en cas de force majeure et presque toujours pour guerroyer.

Comme la fonction crée l’organe et qu’aussi l’inaction l’atrophie, les belles routes que Beaumanoir appelait pompeusement « chemins de Jules César » s’effondrèrent avec le temps. Au IIe siècle, sous les Antonins, elles étaient, dit-on, aussi nombreuses