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d’argent, force est de se contenter de bois. En 1783, les eaux l’ayant pour la quatrième fois abattu sur la moitié de son estacade, il est remplacé provisoirement par un bac. Pendant les pourparlers avec le pouvoir central à l’effet d’obtenir les capitaux nécessaires à la construction en pierre, la Révolution survint. Le représentant du peuple Lakanal prit un arrêté ainsi conçu : « Article Ier : Le Pont de Bergerac sera reconstruit... » Et ce fut tout. Le bac subsista jusqu’en 1825, où s’édifia enfin le pont actuel, en maçonnerie, après cinq siècles d’attente.

Les ponts en pierre étaient un luxe que peu de grandes villes parvenaient à s’offrir. Paris, au XVIe siècle, n’en avait pas d’autre que le pont Notre-Dame ; les ponts au Change et des Meuniers étaient en bois ; de même les ponts de Nantes et de Saumur. Malgré leurs grosses poutres, ces ponts étaient peu stables ; ils exigeaient des réparations fréquentes : lorsqu’il ne suffisait pas d’ « ordonner une courade, » ou corvée générale, pour les accommoder, comme faisaient les jurades du Midi, les provinces y pourvoyaient au moyen de cotisations régionales. Rouen, qui ambitionne un pont de pierre, le met solennellement en adjudication (1612), se résout, après six ans de délibérations infructueuses des échevins et des cours souveraines, à édifier simplement un pont de bois, et se contente enfin, au bout de quinze ans (1627), « puisque l’entreprise n’a pu réussir, » de demander au gouverneur de faire un pont de bateaux en cette ville.

Un pont de bateaux était chose déjà très enviable ; sur le plus grand nombre des rivières, il n’y avait que des bacs, ce qui, en cas de troubles, permettait au gouvernement d’interdire au batelier de passer telles ou telles personnes et, par surcroît de précaution, de faire couler et briser ces bacs dont les malintentionnés pourraient se servir, bien qu’ils fussent mis chaque soir en lieu sûr, à la chaîne, avec cadenas. Jusqu’aux temps modernes la construction des ponts resta assez hasardeuse. Mansart avait fait un beau pont de pierre à Moulins et était revenu triomphant de son ouvrage qu’il n’avait pas suffisamment fondé. Un mois après, M. de Charlus, lieutenant général de cette province, ayant paru devant le Roi, Mansart pria Louis XIV de demander à M. de Charlus des nouvelles de son pont, « sur lequel, raconte Saint-Simon, il se donna largement de l’encens. » Charlus ne disait mot ; le Roi insista : « Sire, répondit-il froidement, je n’en ai point de nouvelles depuis qu’il est parti,