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jamais su lire et qui n’était pas sentimental reçurent avec joie une couronne de feuilles de céleri qui était le premier prix de mes efforts à l’école mutuelle et qui les valait bien. Leur garçon, aidé dans ses bons sentimens par une fessée importante, leur avait promis de travailler et la couronne prouvait qu’il avait travaillé. La mère François pleura, le père François fut tout chose, et la précieuse couronne resta suspendue au manteau de la cheminée, honneur qui n’avait jamais été fait à une branche de céleri. Elle attestait le travail, la victoire et l’amour du garçon que Rosalie, un demi-siècle après, devait trouver beau comme le jour, d’accord en cela avec la prophétique mère François. De la fessée, digne pourtant de mémoire, il n’en était plus question. Tout était pour la vertu du gas. C’est alors qu’on cessa de voir qu’il avait été ravagé par la grêle, et depuis ce temps ce fut un crime de s’apercevoir qu’il avait été grêlé. La couronne serait encore là, et attesterait encore que le garçon de la mère François, devenu beau comme le jour, était déjà beau comme l’aurore, si la maison n’avait pas été démolie. Mais la maison où le bon Dieu veut garder nos couronnes de céleri est éternelle ; et nos couronnes y resteront toujours. Voilà pourquoi, mignonne, le ciel sera plein non pas de ceux qui ont aimé Jésus seulement, mais des œuvres de ceux qui l’ont aimé. Peu d’élus peut-être, mais beaucoup de sauvés par les élus, c’est-à-dire par ceux qui auront eu assez d’amour et de foi pour jeter toujours le filet dans la mer profonde et pour dire à Jésus : Mon Jésus qui m’avez commandé de jeter le filet, par votre sang, par votre amour et par mes sueurs et mes larmes, prenez encore cela. Quant à moi, ma très chère, j’espère bien entrer au ciel parce que je me serai attaché comme une poussière aux pieds de quelque martyr passant. Il m’emportera jusque devant Dieu, et Dieu ne me rejettera pas parce que, au contact des pieds de son martyr, la poussière aura été changée en or.

Mais que voulais-je vous dire ? En poursuivant le fil de mes idées, j’ai perdu toutes sortes de choses dont je voulais remplir une demi-page et me sauver à mes besognes. Vous êtes une grande mangeuse de temps, mais comment se défendre de la joie d’avoir reçu une lettre et du plaisir de vous dire qu’on vous aime. Pour l’amour de Dieu et des carpeaux et des moules qui restent dans la vase, soignez-vous, vivez, ne faites pas d’imprudence. Ne dites pas que vous travaillerez au ciel aussi bien