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nouvelle. Les cœurs fermés, mais les mains tendues, ils venaient vers nous ; ils nous aidaient sans réserve pour mériter notre estime et préparer leur régénération. Dans leur rôle ingrat d’intermédiaires et de conseillers, si leur amour-propre saignait souvent, ils s’en consolaient parfois, en songeant aux revanches futures : « Quand nous en saurons autant que vous, avait déclaré l’un d’eux à Pointis, nous essaierons de nous passer de vous. » Et si dans l’entourage des vainqueurs on rencontrait des courtisans intéressés, on y trouvait en plus grand nombre des patriotes clairvoyans.

Tels n’étaient pas les Marocains quémandeurs et besogneux, à qui l’officier de renseignemens donnait chaque jour audience. Ils s’observaient, méfians, et Pointis se divertissait au spectacle de leurs rivalités. Chacun soupçonnait dans son voisin un concurrent redoutable, et le souci de la calomnie savante s’affirmait en d’interminables bonimens, que l’officier écoutait sans lassitude. Tous avaient des ambitions à satisfaire, des affronts à venger, des rancunes lourdes, des espoirs onéreux. Les plus malins, fiers d’une fidélité sans défaillance, affectaient une foi imperturbable et silencieuse dans notre équité. D’autres, moins avisés, véritables ouvriers de la onzième heure, proclamaient sans mesure la vivacité d’un zèle tardif. Cheikhs sans douars, cadis sans justiciables, khalifas sans thalebs, caïds sans autorité, offraient peu et voulaient recevoir beaucoup. Celui-ci exploitait avec adresse un engouement nouveau pour l’Assistance Médicale indigène, et donnait un gage sans valeur en confiant son esclave fourbu aux soins du « toubib » français. Celui-là mettait à notre service quelques bourricots étiques, ou des projets d’intrigues, ou des promesses de trahison. Des conciliabules dans la nuit attestaient la prudence de personnages qui n’osaient pas, ouvertement, jouer sur les deux tableaux. Les délations, les marchandages affluaient, comme aux séances clandestines d’un comité électoral sûr du scrutin.

L’assiduité de Pointis à ces réunions pittoresques intriguait les notables du district. Ils flairaient en lui quelque « hakem » au pouvoir mystérieux. Ils le courtisaient pour mériter ses bonnes grâces et conquérir son appui. Pointis, amusé par leur manège, mimait une sympathie dilatoire, et, gravement, avec les phrases conventionnelles, se déchargeait sur Allah du soin d’exaucer les solliciteurs. Dans leur foule anonyme,