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Il a été ce cambrioleur et ce poète. Quel poète ! Il a inventé une poésie. Il devait quelque chose de son art à Eustache Deschamps et (plus, à mon gré, que M. Pierre Champion ne l’accorde) au grand Rutebeuf : quelque chose de son art, mais non cette habileté souveraine, qui fait qu’on n’ose pas l’appeler habileté. C’en est une pourtant, et à laquelle on a envie de rendre hommage en disant qu’elle n’est pas volontaire, comme si alors elle avait le caractère d’une aubaine surnaturelle et d’un cadeau à peu près divin. Il a de ces vers qui ont l’air d’avoir fleuri ; et d’autres qui ont les couleurs du soir ; et d’autres qui semblent tombés du ciel. Si on les regarde, on admire la réussite de l’ouvrage, l’effet d’un mot, d’une voyelle qui, placée là, sonne à ravir et vous alarme. Quelle science accomplie du rythme, varié sans cesse, docile aux guises de la sensibilité la plus mobile, et frissonnante, parfois abandonnée à son chagrin, débile, pleurante, et parfois agitée de colère, émue de véhémence, et bientôt adoucie on ne sait comment, passant vite, par des nuances menues et nettes, de la tristesse à la gaieté ou, par des secousses graduées, du rire aux sanglots !... Pour tant de merveilles, une langue imparfaite, et qui a certainement toutes les plus belles ressources du vocabulaire, une abondance même un peu excessive, mais qui corrige son désordre par la justesse des vocables, proches encore de l’origine, et vifs, et neufs, et nés de bonne lignée latine ; ce qui manque, c’est la syntaxe, pour assembler le trésor verbal et pour le ranger. Et souvent on aurait l’impression de colliers défaits, de chaînettes rompues, si le rythme ne suppléait la syntaxe ; il prend les mots, les tient, les attache et compose avec eux les phrases, en vertu de sa logique, non dialecticienne, mais spontanée, pareille aux gestes de l’émoi : logique poétique, perpétuellement renouvelée, et qui ne peut continuer la pensée une fois éteinte (comme le raisonnement tout seul continue) et qui ne vit que dans l’ardeur.

Cette poésie qu’a inventée Villon, c’est (pour emprunter à Baudelaire) un cœur mis à nu. Villon a imaginé de ne dissimuler rien, fût-ce vanité ou vergogne. De vanité, il n’en a pas : et plutôt il se rabaisserait. Sans doute il attribue volontiers à des chagrins d’amour le motif des départs extrêmement précipités auxquels l’incitait, pour tout dire, la nécessité de n’être pas auprès de ses juges le lendemain d’un crime ou d’un délit ; mais, quoi ? n’est-ce pas le plaisir d’amour qui le tenta et la peine d’amour qui le déconfit premièrement ? Et puis, ses amours même, il ne les vante pas. De vergogne, il n’en a guère ; et l’abjection de sa misère, l’a-t-il voilée ? S’il ne raconte pas toute l’anecdote de ses