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21 février 1876.

Ma chère amie, l’autre jour, j’ai vu paraître chez moi l’ancien Duprez de l’Opéra, avec quelques musiques de sa façon, qu’il veut offrir au Saint-Père. J’étais à cent lieues de penser à lui, que je n’ai vu qu’une fois il y a des milliers d’années, en sorte que son nom ne m’a pas fait tomber à la renverse. Mais le brouillard s’est dissipé et nous avons échangé les complimens et les extases que se doivent des gens d’esprit. Vous m’avez dit un jour que vous me trouviez bon comédien, ce qui ne m’a pas surpris, sachant déjà par la Bible que tout homme est menteur. Je me suis surpassé, et lui se surpassant m’a trouvé « beau comme le jour, » ce qui ne m’a d’ailleurs nullement empêché de croire à la sincérité de notre Rosalie. Ce Duprez en retraite a de la vie tant qu’il en peut porter, de la graisse un peu plus et de la religion tout juste, mais assez cependant (selon lui) pour son âge, pour sa graisse et pour sa belle renommée. Somme toute il m’a semblé bonhomme, quoique trop attaché à la bagatelle.

Vous pensez bien que la conversation n’a guère tardé à rouler sur vous. C’est moi qui l’avais amenée là. Vous êtes ma gloire. Je me pare de vous devant les illustres pour leur montrer que je ne suis pas rien, ni un monstre. Il est parti en anecdotes. Un jour vous lui avez dit : Ah ! ça, tu sais : j’ai une religion, moi, la vraie, la bonne, et je la pratique, tandis que toi... Et là-dessus, vous lui fîtes un pied de nez, avec la révérence. Ce sermon n’est pas de saint Jean Chrysostome, ni même de Bourdaloue. Il est bon néanmoins et très suffisant pour l’auditoire. Duprez n’a pas laissé de s’en souvenir. Je m’en souviens aussi. Je l’ai fait plus d’une fois. Il est dans notre destinée de nous rencontrer. Seulement, votre pied de nez devait avoir plus de grâce que le mien. Je veux que cette anecdote vous amuse comme elle m’a amusé.

Votre petite dernière m’a charmé par toutes sortes de raisons. J’ai admiré la liberté de votre esprit et celle de votre écriture. Tous deux volent. Quant à l’écriture, je n’en suis pas là. Mais ne vous épouvantez pas. Un médicament que j’ai pris ce matin me met à l’envers. Je tremble comme un candidat, ou plutôt je tremblais, car cela passe un peu. Au fond, je crois que je vais mieux. Je n’ai reçu de cette longue épreuve que du bien. Je me trouve moins impatient, moins sur ma