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De cette évolution insensible et qui dure des siècles, les temps modernes naîtront et l’histoire des temps modernes apportera, à l’infini, de nouveaux témoignages et de nouvelles leçons. L’histoire s’adaptera aux exigences accrues de la pensée et de la découverte humaines. Sculptée gauchement aux chroniques du Moyen âge comme au portail des Églises, elle retrouve, à la Renaissance, la beauté des lignes et des ordres antiques, la noblesse et l’ampleur de la composition et du style ; elle devient abstraite et sentencieuse avec la philosophie du XVIIIe siècle ; le romantisme lui rend le goût du pittoresque et l’enthousiasme lyrique. A notre époque, enfin, elle offre le spectacle d’une activité prodigieuse, d’une impressionnabilité extrême, d’une mobilité désordonnée où l’on sent poindre l’anarchie. Ainsi, chaque âge se représente dans l’histoire qu’il écrit.

La puissante école historique du siècle où nous vivons laissera de hautes leçons et de nobles émotions aux âges futurs, si elle sait s’arrêter d’elle-même sur la pente, si elle évite le paradoxe et le fatras, si elle sait garder le goût et la mesure, éliminer les détails stériles et dégager les grandes lignes avec leurs prolongemens sur l’avenir. Tel est le principal devoir de la nouvelle histoire. Elle ne gardera son autorité sur les esprits que si elle reste noble, claire et pure, si elle sauve les contacts avec l’âme du peuple, si elle rompt avec le pédantisme orgueilleux, si elle suit humblement les traces de la vie, si la vérité qu’elle découvre et qu’elle exprime reste humaine, vivante, attrayante et belle. Qu’elle se méfie du mécanisme et du byzantinisme : de tous temps, les grandes civilisations et les grandes écoles ont péri par là.

Lourde responsabilité pour les historiens de l’avenir ! Leur sujet s’étend, leur travail s’accroît, les exigences se multiplient, les thèmes se développent et se dispersent, l’art s’allonge, et la vie reste courte. Ils ne trouveront le soutien et le réconfort que dans une conscience de plus en plus profonde de la grandeur de leur mission. Tout se complique autour d’eux ; mais l’unité de la pensée humaine s’affirme et, s’étendant sur toute la planète, leur fournit le moyen de travailler plus immédiatement et plus efficacement à leur tâche qui est l’apport constant de l’expérience à la plus grande amélioration de l’humanité.


GABRIEL HANOTAUX.