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par les cris de son enfant. Elle a dû le laisser longtemps pleurer, parce que le père exige qu’il s’endorme seul, et voici que la tragique nouvelle l’a détournée un instant. Le bébé s’est endormi, « Le hasard de la mort, là-bas au loin, avait suffi à vaincre son obstination diabolique... Quelle merveille de douceur et de délicatesse que cette joue tachée de larmes ! Combien frêle cette petite, toute petite main fermée ! Constance sentait en elle une mystique union de douleur et de joie. » Déjà l’enfant, qui résume pour elle tout le présent, la détache du passé. Déjà aussi cette existence nouvelle menace la paix du foyer dont elle sort. Constance en a le sentiment profond, le sentiment très vif, une nuit qu’elle ne peut pas dormir. L’enfant a été corrigé par son père. Elle a l’impression d’être entre eux, et il lui semble qu’elle sera broyée par leur choc. « Toujours elle aurait à porter le double fardeau qu’ils lui imposeraient. Il ne saurait y avoir nul repos pour elle, nulle trêve dans ses terribles préoccupations et responsabilités. Elle ne pouvait pas changer Samuel ; d’ailleurs, il avait raison ! Et quoique Cyril n’eût encore que cinq ans, elle sentait qu’elle ne pouvait pas changer Cyril non plus. On ne modifie pas la croissance d’une plante. » On la redresse pourtant ; mais les personnages de M. Arnold Bennett, comme ceux du roman anglais en général, ne semblent pas avoir beaucoup de confiance dans les vertus de l’éducation ; ou plutôt, ils n’estiment pas que ce soit l’affaire d’interventions personnelles et de volontés particulières. Les parens n’ont-ils pas leur propre exemple ? C’est une vieille histoire qui recommence, et Constance, si sa pensée ne se tenait fixée sur les appréhensions et les espoirs de l’avenir, trouverait dans ses souvenirs de famille de quoi lui faire pressentir les épreuves futures.

L’enfant grandit ; et il s’habitue d’autant plus aisément à son égoïsme et à son indépendance qu’il ne soupçonne pas la tendresse passionnée de sa mère, le besoin qu’elle a de sa tendresse à lui. Plus d’une fois elle a voulu répondre par une étreinte aux baisers affectueux qu’il lui donnait ; « mais elle ne pouvait dépouiller les habitudes de contrainte qu’on lui avait imposées dès l’origine et qu’elle avait, toute sa vie, pratiquées. Elle regrettait vivement son impuissance. » N’est-ce pas une chose singulière que cette réserve, ce malaise d’une âme qui ne sait pas, qui ne peut pas s’ouvrir ? Il nous serait difficile de