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Darius Clayhanger sur son lit d’agonie n’empêchent pas la nurse qui le soigne d’avoir sa physionomie propre, et de rester pour nous, quand nous l’avons une fois entrevue, une silhouette inoubliable.

Est-il besoin de dire qu’un romancier n’arriverait pas à ces effets, s’il n’ajoutait aux autres qualités la puissance de l’expression ? Je ne sais si l’on peut dire que M. Arnold Bennett est un grand écrivain, et je ne crois pas que la prose anglaise soit un bon instrument d’art. Mais à coup sûr le style des romans dont nous avons essayé de marquer ici l’intérêt suffit à toute sa tache et il ne trahit aucun des besoins qu’il a pour fonction de servir. Il est égal à toutes les richesses des perceptions, à toutes les nuances de sensibilité, aux minuties de l’analyse. Il se prête aux badinages, aux libertés et aux âpretés de l’humour, à la sincérité du pathétique. Il réussit parfois à traduire des notations psychologiques en leur donnant le tour le plus concret, à en rehausser l’exactitude par la précision dans la magnificence. Il nous par le quelque part d’un enfant, — l’enfant de Hilda, — absorbé, hypnotisé par l’idée du moment. « Ces idées se succédaient l’une à l’autre comme une dynastie de rois, comme une série de dynasties ; il y avait de fréquentes querelles dynastiques, des dépositions et des morts soudaines : mais le loyalisme de George était le même envers toutes : il était absolu[1]. »

Tels quels, les romans de M. Arnold Bennett assemblent et harmonisent des mérites qui les mettent au premier plan de la production contemporaine en Angleterre, qui les désignent tout particulièrement à notre curiosité. Je n’en connais guère de plus savoureux ni de plus riches, de plus propres a contenter les lecteurs qui demandent à une littérature étrangère, non pas ce qu’elle a de plus assimilable et de plus indéterminé, mais au contraire ce qu’elle offre de plus particulier et de plus original. Nous avons vu que le romancier des Five Towns n’en était pas moins largement humain pour être étroitement anglais.


FIRMIN ROZ.

  1. Clayhanger, Book IV, ch. VIII, § III.