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ont tous des noms ? Quand on les voit, les noms qui viennent aux lèvres sont des noms bibliques. On dirait la postérité que l’Ange prédit à Abraham, uniforme et mystérieuse comme les étoiles. Que d’Eliézers auprès des caravanes ! que de filles de Rebecca aux fontaines ! que de fils du sauvage Esaü, que de patriarches debout au seuil des tentes, au milieu de leurs fils, de leurs filles, que de robes blanches pareilles à la tunique que déchira Jacob ! Un jour vient où l’on voudrait sentir autre chose que cette cadence stérile du temps, cette uniformité des êtres. On voudrait surprendre une voix vraiment humaine, entendre le son d’une vie qui sait qu’elle vit pour jouir et souffrir. On voudrait tout à coup briser un sceau sur l’une de ces lèvres muettes. On sait ce qu’est en pays d’Islam l’habitude, le fanatisme du secret. N’interrogeons personne, fions-nous d’abord à nos yeux discrets mais attentifs, et notons d’abord ce qu’ils peuvent voir tous les jours.

Etes-vous curieux d’un roman d’amour ? Laissez là une curiosité vaine. Tout au plus verrez-vous passer sous les fenêtres de votre villa européenne les petits cortèges de noces, la caisse enrubannée, décorée de croissans d’or et d’argent où une fiancée se cache et se laisse porter par les amis de l’époux au foyer conjugal. C’est toujours la même farandole bruyante : les petits foguets éclatent, les musiques aigres déchirent les oreilles. Vous ne percevrez rien que du bruit. Mais ce que vous sentirez, tout de suite, dès que vous serez dégagé d’impressions toutes physiques et de l’ensorcellement délicieux du silence, c’est une sorte de vibration religieuse dans l’air. Elle est partout. Mille signes vous la feront sentir quand le premier ne serait que l’exclamation rieuse d’un enfant qui reçoit votre aumône et remercie, en faisant la cabriole, le chien de chrétien. Il ne sait pas grand chose, ce petit, mais il sait déjà qu’il est musulman et que vous ne l’êtes pas. La petite mèche laissée sur son crâne tondu est à peine longue de deux pouces que déjà le prophète la tient. Chien de chrétien ! les mots se sont trouvés sur ses lèvres avec les premières syllabes qu’il a balbutiées, il l’a sucé dans le lait maternel.

Suivez seulement le rythme du jour. A l’aurore, le premier son de la vie qui se ranime, c’est, avec le chant du coq, le cri du muezzin. Sur le minaret la petite apparition noire, saluant les quatre faces de l’horizon, vient ordonner la prière. Le cri