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outrancier ; leur dessein était plutôt de gagner le temps de découvrir des débouchés nouveaux sans arrêter ou ralentir la marche de leurs usines ; ainsi les troupes en campagne lancent une passerelle de fortune pour franchir une rivière.

Mais ce régime, à la longue, a blessé la grande majorité des Espagnols ; il équivaut, en somme, à continuer les habitudes oligarchiques de l’administration coloniale ; il lie au gouvernement un petit nombre d’intéressés et mécontente la masse du peuple. Il eut l’inconvénient aussi d’engager les capitalistes revenus des îles à placer leurs fonds disponibles en affaires industrielles ; de là, multiplication des fabriques avant que les effectifs des consommateurs aient été renforcés. Les filatures en ont souffert et surtout les sucreries ; des cantons entiers furent plantés en betteraves, parce que l’on n’importait plus d’Amérique du sucre de cannes ; mais, malgré droits protecteurs et trusts, cette industrie a bien vite pâti de surproduction et de mévente. Il n’y avait pas concordance entre la politique financière de Villaverde, qui consolidait un terrain de fondations, et la politique douanière qui aggravait les frais des matériaux nécessaires pour l’édifice moderne à construire. Aussi croyons-nous que cette crise espagnole de protectionnisme ne durera pas ; elle sera abrégée par les plaintes qui, de toutes parts, s’élèvent contre la vie chère ; les hommes d’Etat qui dirigent l’Espagne comprennent l’erreur de prolonger une pratique qui a quelque chose de féodal ; certains bénéficiaires de la protection insistent eux-mêmes aujourd’hui sur ce que les tarifs qu’ils recommandèrent avaient un caractère d’expédient.

L’Espagnol est profondément démocrate ou, plutôt, égalitaire ; quatre siècles de monarchie bureaucratique n’ont pas suffi à étouffer ces hérédités irréductibles. En Aragon, jadis, les chefs de famille nommaient un gran justiza, sorte de surveillant permanent de la prérogative royale ; les Basques sont si vivement épris de leur indépendance familiale que leurs maisons voisines ne s’accolent jamais par un mur mitoyen ; les montagnards des Asturies et de Léon, ces provinces qui furent par deux fois le terrain de la reconquête hispanique, contre les musulmans, puis contre l’Espagne afrancesada de Napoléon Ier, sont, eux aussi, des individualistes farouches. Charles-Quint ne s’y est pas trompé lorsque, voulant fonder sa monarchie flamande,