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POÉSIES





SANS LUMIÈRE


Comme il est doux, le soir, de rester sans lumière !

Vous m’attendiez dans l’ombre où la lueur dernière
Du jour laissait encore un reflet pâle et doux ;
Et c’était bien une clarté de rendez-vous !
Assis à vos genoux, je vous croyais lointaine
Encor, je ne voyais qu’une robe incertaine
Qui semblait frissonner… Et c’était vous pourtant
Dont je sentais le corps, près du mien palpitant.
Dans cette ombre où vous vous étiez abandonnée ;
Sur votre lèvre alors à ma lèvre donnée.
Notre baiser sembla devoir s’éterniser.
Et c’était plus troublant ainsi de se griser
Dans cette nuit qui nous voilait jusqu’à nos âmes,
Cette nuit où pour un instant nous oubliâmes,
Sans regret du passé, sans même un autre espoir,
Tout ce qui n’était pas notre désir, ce soir !

Mais brusquement sur nous a jailli la lumière…

Et le désir est mort avec le grand mystère
Do l’ombre ; et la clarté s’est faite encore en nous ;
Et nous nous sommes dit que nous étions des fous
De vouloir assouvir en cette heure de fièvres
Toute soif de caresse aux sources de nos lèvres.